Heureux Sir Edward Elgar : la France s’intéresse enfin à sa musique ! Son oratorio The Dream of Gerontius, un classique outre-Manche, a été donné deux soirs de suite à la Philharmonie de Paris, les 21 et 22 décembre. Revanche définitive, qui prouve que l’œuvre de ce compositeur britannique ne se limite pas au célébrissime Pump and Circumstance et à quelques autres pages orchestrales.
On se doute que la présence de Daniel Harding à la tête de l’Orchestre de Paris n’est pas pour rien dans la programmation du plus célèbre oratorio d’Elgar. Même s’il n’avait pas encore eu forcément l’occasion de la diriger souvent, le chef natif d’Oxford a forcément été bercé par cette musique, parfait exemple d’un certain wagnérisme à l’anglaise (ne dit-on pas qu’il s’agit du Parsifal britannique ?), composée sur un texte vaguement suspect car dû à John Henry Newman (1801-1890), protestant converti au catholicisme en 1845 et même devenu cardinal dans sa soixante-dix-huitième année. Dans le poème publié en 1865, sous-titré « Itinéraire d’une âme », le vieux Géronte passe de vie à trépas puis, escorté par un ange, comparaît devant le tribunal céleste avant d’être jugé digne du paradis. Lui-même catholique, Elgar a retenu les principaux épisodes de cette grande méditation sur la mort, et si le résultat n’est pas franchement dramatique, du moins est-il parvenu à ménager, surtout dans la deuxième partie de l’œuvre, un certain nombre de contrastes, notamment grâce aux interventions du chœur.
Effectifs choraux particulièrement imposants, puisqu’au Chœur de l’Orchestre de Paris au grand complet s’ajoute son Chœur de jeunes, toujours aussi excellemment préparés par Lionel Sow, pour une prestation très impressionnante en démons, esprits angéliques ou âmes du purgatoire. L’orchestre distille les sonorités onctueuses agencées par Elgar en un flux mélodique continu, Daniel Harding adoptant le plus souvent des tempos assez retenus, conformément à l’atmosphère générale de sérénité qu’interrompent seulement de rares éclats.
Quant à la distribution vocale, Magdalena Kožená était sans doute la star convoquée pour conférer à l’opération un prestige supplémentaire apte à déplacer un public plus nombreux. Aucun problème pour le texte, Madame Simon Rattle étant parfaitement anglophone. L’ange trouve en la mezzo tchèque une interprète à la fois souple et émouvante, et seules les notes les plus graves du rôle ont tendance à être un peu couvertes par l’orchestre. Admiré en Fenton dans le Falstaff de concert donné en septembre à la Philharmonie, le Britannique Andrew Staples est également un grand adepte de l’oratorio : il confère à Gerontius un timbre étonnamment juvénile mais parvient à camper son personnage avec sincérité et naturel. Pour ses courtes interventions, John Relyea remplit la salle d’une voix de stentor, aussi intimidant qu’il savait être ridicule en Basile dans le Barbier du Théâtre des Champs-Elysées.
Après la réussite de ce concert, on peut imaginer que Paris se montrera désormais plus accueillant pour la musique anglaise en général, et pour celle d’Elgar en particulier. Qui sait, peut-être est-il même permis d’espérer entendre prochainement les magnifiques Sea Pictures pour contralto et orchestre…