Le dernier Ring zürichois était probablement trop récent (saison 2008-2009) pour qu’on le serve à nouveau en guise d’hommage nécessaire à Wagner en cette année du bicentenaire de sa naissance. Aux projets pharaoniques, l’Opernhaus semble donc avoir avoir privilégié les interprètes, en invitant Bryn Terfel à porter cette nouvelle production du Fliegende Holländer.
Louable initiative, car on ne sait trop par où commencer pour commenter la prestation du baryton gallois. Dans une grande forme vocale, son approche du rôle, particulièrement intelligente, se traduit notamment par une superbe gamme de nuances, osant des piani sublimes là où d’autres titulaires du rôle ne vont pas au-delà d’un mezzo-forte conventionnel. C’est donc un Holländer subtil qui nous est proposé : la présence massive et inquiétante se lie à la détresse, sans jamais que l’une de ces dimensions ne prenne le pas sur l’autre. Il ne fallait pas moins que Matti Salminen pour lui donner la réplique en Daland. La basse phare de Zürich assure à merveille le rôle de ce père vénal, aussi bien vocalement, que scéniquement : le jeu est efficace, maîtrisé, et il tient la scène à lui tout seul. Le choix d’un ténor plutôt léger – Marco Jentzsch – pour interpréter Erik donne une grâce pertinente au personnage, d’autant que la ligne est remarquablement soignée. Anja Kampe en Senta l’emporte à l’applaudimètre. Si l’engagement scénique de la soprano est à saluer, elle alterne des moments proprement exceptionnels (le récit du Hollandais en deuxième partie) avec d’autres passages moins convaincants (ses premières interventions, son duo avec Terfel). Les difficultés du rôle lui font parfois forcer quelque peu son instrument, ou mettent son intonation en défaut.
Rien de rédhibitoire. C’est ailleurs que le spectacle a suscité quelques réserves. Chez Alain Altinoglu, d’abord. La direction est attentive mais il n’est pas certain que Wagner la présente sous son meilleur jour. Etrange impression : on dirait que le volume des registres dans l’orchestre ne sont pas tout à fait réglés. Dès l’ouverture, les accents des cuivres, au lieu de se fondre dans la masse sonore, ressortent comme accentués, noyant les cordes sous des coups de boutoirs. Au point que le tout ressemble parfois à une fanfare… Conséquence de ce déséquilibre : les chanteurs se retrouvent à plusieurs reprises couverts par l’orchestre.
L’autre dimension discutable de cette production est la mise en scène d’Andreas Homoki. L’action est transposée au moyen de décors soignés dans le bureau d’une grande entreprise de colonisation, à la fin du XIXe siècle. Mais, outre le fait que la transposition ne fonctionne pas toujours – lorsque l’on parle trop explicitement de mouvement de navires, par exemple -, lire l’opéra de Wagner à travers le prisme d’Au cœur de ténèbres de Joseph Conrad, n’est-ce pas un peu forcer le sens ? Quelques beaux tableaux – souvent, les plus dépouillés – ne rachètent pas tout à fait une impression générale de gratuité. Pas sûr qu’habiller le Holländer en un semblant d’indigène suffise à rendre cette lecture convaincante : la rébellion africaine dans l’acte III semble sortir de nulle part. Du nouveau Fliegende Holländer de Zürich, on retiendra surtout les premiers rôles…