On le pressentait (voir notre spot de rentrée), Teodor Currentzis allait dynamiter Lady Macbeth de Mzensk et on n’a effectivement pas été déçu ! Le chef s’empare de cette musique en en magnifiant la noirceur tout en nous prenant à la gorge lors les moments les plus intenses (dans les interludes notamment) au point que l’on s’écrase dans son fauteuil sous les déferlements de cette musique tellurique. Prodigieux. Malgré quelques solos délicats et une timbalière décidément sans grand caractère, l’orchestre se montre admirable, notamment un superbe premier violon.
« Cet opéra est une comédie » nous dit Teodor Currentzis dans le programme, un constat qu’il partage avec le metteur en scène Andreas Homoki qui nous propose un deuxième Nez, mais au cirque : décor (étrange) figurant un huis clos, costumes aux couleurs acidulées, troupe de clowns jouant des cuivres (et participant à certains interludes), beau-père de Katerina en dompteur de fauves, etc. Homoki joue la carte du grotesque, de l’absurde, de la satire mais aussi du sordide avec quelques images particulièrement crues (toutes les scènes de sexe, prévues ou non par le livret). L’œuvre inclut indéniablement ces dimensions, mais ne comporte-t-elle que cela ? Pas vraiment. Ce parti pris, aussi parfaitement assumé et réalisé soit-il, ne fonctionne donc pas tout à fait dans les moments foncièrement tragiques, notamment le dernier tableau où Homoki se retrouve un peu prisonnier de son étrange décor et de son univers foutraque. L’approche n’en reste pas moins très intéressante et permet d’aborder l’œuvre sous un éclairage nouveau.
Si cette vision fonctionne bien, c’est aussi grâce à une extraordinaire troupe de chanteurs, extrêmement engagés et dont la plupart d’entre eux réalisent une prise de rôle, ce qui est d’autant plus impressionnant. On reste ainsi coi devant la performance de Gun-Brit Barkmin, époustouflante dans le rôle-titre : beauté et solidité de la voix, énergie phénoménale, aplomb vocal et scénique extraordinaire, ce n’est qu’aux saluts que la chanteuse craque d’épuisement. Mémorable. Mêmes qualités vocales et scéniques chez Brandon Jovanovich qui incarne un exceptionnel Sergueï. La puissance et la parfaite projection de la voix conviennent particulièrement bien à ce personnage séducteur et opportuniste. Kurt Rydl se montre tout à fait ignoble en Boris et impressionne par l’impact d’une voix encore en très bonne forme à près de 40 ans de carrière. Tous les seconds rôles sont admirablement tenus, particulièrement Benjamin Bernheim qui donne un poids réel au personnage couard du mari de Katerina ou encore Pavel Daniluk qui trouve dans l’inénarrable Pope un rôle parfaitement taillé pour sa voix rocailleuse. Les chœurs se montrent de même d’une efficacité redoutable.
Alors, trois ou quatre cœurs ? Malgré les réserves sur la mise en scène, surprenante mais finalement passionnante, les quatre semblent de mise, surtout si l’on considère le niveau musical exceptionnel de la soirée. On se demande, à entendre la mollesse de sa réaction, si le public zurichois en mesure la rare splendeur…