Quels ingrédients faut-il pour donner vie à Lakmé ? En fait, les mêmes que pour tout opéra, la gageure d’un ancrage spatio-temporel fort en plus : des personnages subtils à construire, deux mondes à faire exister, et une tension à trouver.
Ces ingrédients, pas sûr que Lilo Baur soit parvenue à les trouver. On ne peut malheureusement pas parler de réussite quant aux personnages : la direction d’acteurs est souvent quelque peu brouillonne. Les intentions ne passent pas, et on citera à titre d’exemple le premier duo d’amour où Gérald et Lakmé semblent bien peu à l’aise. Leurs mouvements, leur attention paraissent dirigés ailleurs, comme si rien ne se jouait lors de cette rencontre. Tout au long de l’œuvre, ni l’Angleterre, ni l’Inde n’existent vraiment, et l’on est particulièrement dérouté par la scénographie du premier acte : si le monticule de sable qui occupe la scène est un dispositif intelligent, sa laideur et sa taille entrave la dimension esthétique inhérente à Lakmé et limitent l’espace de jeu à un proscenium claustrophobe. Quant à la tension, elle semble laissée à la seule responsabilité du livret : le Brahmane mis à part, personne ne semble animé par une quelconque motivation. Relevons toutefois la bonne idée du marché en slow motion pour ouvrir le second acte, et le saule féérique du troisième acte, qui fait contrepoids à la vilaine butte qui ouvrait l’opéra.
C’est heureusement du côté de la musique que les belles surprises de la soirée sont venues. Si l’on aurait aimé un peu plus d’engagement dramatique de la part du chef Miquel Ortega, on se doit de souligner le soin porté particulièrement au traitement des cordes : les phrases solistiques qui parsèment la partition ressortent admirablement.
Vu du plateau, c’est une distribution sans faute. Le Frédéric de Boris Grappe a dans son timbre la morgue et la raideur qui siéent au militaire de carrière, tandis que les Misses anglaises (Céline Mellon et Céline Soudain) affichent une santé vocale réjouissante, en contrepoint des couleurs plus grises de leur nourrice (Hanna Schaer).
Côté hindou, l’instrument plein, charnu de Daniel Golossov donne à son Brahmane l’autorité et la profondeur mystique qui sourd des premiers âges du monde. Julia Bauer est sans conteste une Lakmé à retenir. Certes, on aurait pu souhaiter, au sein d’une distribution francophone, moins d’approximations dans sa prononciation. Mais c’est le chant que l’on retiendra, et, outre les pyrotechnies du rôle dans lesquelles elle ne fait rien moins qu’éblouir, elle sait se montrer plus large dans le medium quand l’action l’exige, proposant ainsi une belle palette d’expressions.
C’est pourtant les ténors qui nous offrent les plus beaux moments du spectacle. On citera en préambule Jonathan Spicher en Hadji, qui ajoute à l’une des meilleure prestation scénique une ligne et une intelligence vocales séduisantes,faisant regretter la brièveté du rôle. Mais c’est évidemment le Gérald prodigieux de Christophe Berry qui demeurera comme le bijou de cette soirée. Dès sa première intervention, on retrouve – petit miracle – l’art du chant français, et l’on croit entendre un héritier de Georges Thill : le timbre clair, la diction parfaite, la ligne irréprochable, et cette voix qui coule, limpide et naturelle. Tout ce qui fait ces ténors rares, à qui la musique de Lakmé semble exclusivement dédiée.