Nul ne contestera que Juan-Diego Florez fait partie aujourd’hui des meilleurs chanteurs du monde. Et quand bien-même certains en douteraient, ce concert des Grandes Voix, le deuxième de la saison, en apporte une nouvelle démonstration : salle du Théâtre des Champs-Elysées comble (1900 places tout de même), public enthousiaste, groupies qui offrent à leur idole, l’une des fleurs, l’autre une étole rouge pour protéger sa gorge, et standing ovation en guise de bouquet final.
Tout cela est mérité, reconnaissons-le : timbre caressant immédiatement identifiable, présence vocale, agilité, aigus toujours triomphants, graves affermis, physique séduisant, Juan Diego Florez est un ténor comblé. On le constate encore ce soir. A presque quarante ans et après plus de quinze années de carrière, il a su préserver son capital ; le chant n’a rien perdu de son impact. Que demander de plus ?
Un répertoire moins restreint qui lui apporterait un auditoire encore plus large. Aujourd’hui, le champ d’action de Juan-Diego Florez se limite à Rossini, Bellini et Donizetti. Ce n’est déjà pas si mal quand on connaît les exigences vocales de ces compositeurs, exigences que Florez, dans sa catégorie est à peu près le seul à satisfaire complètement. Oui mais voilà, comment, au faîte de la gloire, ne pas vouloir davantage ? Comment ne pas rêver d’interpréter les rôles les plus fameux, ceux que le public espère et révère ? Un Duc de Mantoue à Dresde il y a deux saisons s’était soldé par un demi-échec. « La Donna e mobile » offerte ce soir en bis le confirme : dans Rigoletto, seul cet air, brillant entre tous avec son Si final comme un pied de nez à toute moralité, correspond vraiment à la vocalité de notre ténor. Alfredo de La Traviata n’est pas davantage dans ses cordes, sauf à aimer un fils Germont à la joue glabre. Le « Lunge da lei » suivi de sa cabalette (« Oh mio rimorso! »), expose l’absence d’ombre et le défaut, non pas de vaillance mais d’héroïsme. Phrasé alangui, surenchère d’intention ne compensent pas la légèreté du métal. L’échappée dans l’univers de la zarzuela après l’entracte se révèle tout aussi infructueuse. Le ténor chante dans sa langue naturelle -l’espagnol – mais de nouveau les personnages qu’il dessine manquent de contours et de virilité. Encore plus hors de propos, l’extrait du Pays du sourire interprété dans un allemand exotique et ce « Be my love » qui nous fait réaliser tout le talent de Franck Sinatra. Même pourvu d’une technique à toute épreuve, n’est pas crowner qui veut.
Finalement, là où Juan-Diego Florez excelle, c’est dans le bel canto de la première moitié du XIXe siècle, ainsi qu’en témoignent cet air d’Il Pirata attaqué crânement bille en tête. Un léger accident dans l’aigu ne sera pas sans conséquence sur le reste de la soirée. Le chanteur avancera ensuite prudemment mais son Gualtiero, tout comme son Dorvil de La Scala di seta et surtout Beppe de Rita demeurent ébouriffants de style. Virtuosité, ligne, souffle : notre Juan-Diego serait donc condamné à toujours chanter la même chose. Peut-etre pas, Les Pecheurs de perles, annoncés dans un mois à Las Palmas, pourraient representer une porte de sortie. Pourtant en bis, ce n’est pas « je crois entendre encore », l’air de Nadir, que le ténor offre à un public reconnaissant mais « Pour mon âme », extrait de La Fille du régiment, un opéra composé en 1840 par Gaetano Donizetti.