Dans un programme entièrement consacré au « compositeur le mieux payé de France », Le Concert Spirituel emmené par un Hervé Niquet en grande forme a régalé le public de Massy.
La célébration, voilà le fil conducteur du programme concocté par Hervé Niquet à la tête de sa troupe fraîchement trentenaire, Le Concert Spirituel. Si la deuxième partie du concert fut dévolue au célèbre Te Deum H.146, dont chacun connaît les premières mesures (rappelez-vous des émissions diffusées en Eurovision), mais dont l’opulente splendeur mérite largement de les dépasser, la première permit de savourer des motets et cantiques donnés plus rarement en concert.
Après une courte ouverture tirée du prologue du Malade Imaginaire, H.495 menée tambour battant, Le Concert Spirituel fait preuve, une fois de plus, d’une justesse stylistique admirable dans chacune des pièces du programme. Le soin apporté à la conduite des phrases et la formation instrumentale réduite, avec un seul musicien par pupitre, permettent d’apprécier pleinement la subtilité de la polyphonie de Marc-Antoine Charpentier. Cependant, ce choix d’un effectif restreint, parfait pour les pièces de la première partie, constitue l’écueil principal de la soirée, d’abord lié à la difficulté intrinsèque de programmer dans une grande salle d’opéra une musique écrite et pensée pour une petite chapelle (passé les premiers rangs du public, le théorbe devenant par exemple un simple élément de décor visuel). Autre conséquence de ce choix, la disparition des cordes dès que les trompettes et timbales entrent en action. Enfin, l’effectif instrumental reste trop réduit, malgré l’implication individuelle des musiciens, pour rendre pleinement au Te Deum, hymne de louange, sa majesté de grand motet versaillais.
À l’instar des instrumentistes, le chœur livre une interprétation riche en reliefs. Ce souci du détail se manifeste notamment au travers d’une réalisation rythmique toujours précise. S’appuyant sur une remarquable homogénéité des timbres, les chanteurs dévoilent au public pièce après pièce une belle palette de nuances. Les solistes le renforcent systématiquement, effort louable, mais on perd en discipline, notamment sur les consonnes finales, ce qu’on y gagne en volume.
Si la construction du programme est admirablement bien pensée, permettant d’explorer la célébration sous son aspect mystique, religieuse, profane et les trois à la fois, c’est-à-dire princière, le chef préfère régaler, entre les pièces, son auditoire d’anecdotes sur la situation matérielle confortable de M.-A. Charpentier, longtemps employé par Mademoiselle de Guise, très riche cousine du Roi Louis XIV. Les œuvres du programme furent cependant presque toutes composées après la mort de celle-ci, alors que Charpentier était passé au service des jésuites parisiens. Hervé Niquet le qualifie de « compositeur le mieux payé de France » et glisse vite vers un « meilleur compositeur de France » très discutable, mais n’étant pas venu pour assister à une conférence musicologique, on pardonnera bien volontiers ces raccourcis, tant on apprécie son talent de conteur, sa joie d’être sur scène, joie partagée par tous les musiciens, dont l’engagement de la première à la dernière note est remarquable.
© Guy Vivien
Les premières pièces célèbrent tour à tour la Vierge Marie, Saint Louis et Saint Xavier et donnent l’occasion au public de se laisser séduire par une ambiance plus intimiste. C’est néanmoins dans le Te Deum que l’alchimie est la plus réussie, tous les protagonistes connaissent l’œuvre par cœur, en témoigne un superbe enregistrement paru chez Glossa en 2001, et cela se ressent tout de suite : les timbres éclatent, toutes les voix s’unissent pour livrer une superbe version de ce grand motet triomphant.
Malgré des timbres assez hétérogènes, les solistes forment un bel ensemble : tous sont rompus au répertoire baroque français, ont déjà croisé la route du Concert Spirituel et c’est un plaisir que d’entendre une diction, des ornementations et des conduites de phrases irréprochables. Des cinq, c’est l’envie et la fraîcheur de François Joron qui le font sortir du lot. L’intensité de son interprétation du « Certamen forte dedisti mihi Domine » dans le motet In Honorem Sancti Ludovici regis Galliae Canticum H.365 en est la plus belle illustration. Si le haute-contre suédois Anders Dahlin est irréprochable stylistiquement et d’une finesse musicale remarquable, son manque de projection n’a pas permis aux spectateurs de profiter de son timbre clair (hormis ceux des premiers rangs). Méforme d’un jour ou programme un peu trop grave pour sa voix ? Geoffroy Buffière, remplaçant de dernière minute, ne donnera sa pleine mesure que dans le Te Deum où son timbre sombre et puissant se déploie enfin.
Enfin, on saura particulièrement gré à Hervé Niquet de faire chanter le « Tu ergo quaesumus » par les deux solistes féminines à l’unisson (Alice Glaie et Julia Beaumier), ainsi que c’est explicitement indiqué dans le manuscrit (là où la plupart de ses collègues laissent une voix seule prier Dieu de venir au secours de ses serviteurs) : exercice périlleux (la moindre défaillance se remarquant instantanément), mais parfaitement réussi.
La musique de Charpentier sait nous toucher au cœur sans déployer des artifices spectaculaires. Ainsi en était-il ce soir, Hervé Niquet et sa troupe nous auront offert un spectacle de très grande qualité, en toute simplicité. Le public ne s’y est pas trompé.