Créé pour lancer la carrière de jeunes chanteurs et pianistes accompagnateurs, l’Atelier Lyrique de l’Opéra National de Paris n’a pas pour seule vocation l’engagement de ses recrues pour de petits rôles sur les scènes de Bastille et Garnier. Articulé autour d’un bouquet de grands Lieder romantiques, ce récital permet au contraire de les entendre dans un répertoire exigeant maturité artistique et maîtrise de tout ce qui compose la technique vocale : justesse, souffle, registres, couleur y sont mis à nu.
On se doute que pour des artistes encore débutants, cette mise à nu n’est pas un exercice des plus confortables – les comparer aux plus grands spécialistes du genre serait alors un acte fort déloyal. Tiago Matos, pourtant, ouvre la soirée avec un « Belsatzar » intelligemment mené au point que la jeunesse de son baryton, pas plus que dans le « Sänger » de Loewe qu’il nous offre en seconde partie, ne pose problème. Baryton également, Michal Partyka a pour lui un instrument puissant, et une aisance scénique qu’il exploite astucieusement dans l’ « Abschied » de Wolf. Malheureusement, sa tendance à verser dans un expressionnisme exacerbé («Vergiftet sind meine Lieder ») montre qu’il n’a pas encore, mais qui lui en voudrait, toute la maturité requise par ce répertoire. Baryton encore, et révélé par sa nomination aux dernières Victoires de la Musique Classique, Florian Sempey a peu ou prou les mêmes qualités et défauts : chargé d’assumer l’étonnante gémellité du « Roi des aulnes » schubertien et de celui de Carl Loewe, il ne parvient pas à exprimer l’horreur ou l’effroi sans recourir à des ruptures dans la ligne de chant et des effets presque « véristes. » Plus familier avec le style nous est apparu Andriy Gnatiuk. Vraie voix de basse sous une silhouette encore juvénile, il triomphe avec deux superbes ballades de Loewe : « Herr Oluf » tout d’abord, que Wagner considérait à juste titre comme un sommet de la musique, « Edward » ensuite, dont le chanteur ukrainien offre un portrait halluciné. Si l’on regrette de ne pas avoir entendu davantage le beau ténor lyrique d’Oleksiy Palchykov, rayonnant dans la « Zueignung » straussienne, on regrettera qu’Andreea Soare se soit attaquée à des extraits des Vier letzte Lieder, qui demandent un sens du mot (et une prononciation de l’allemand) réservé à ceux qui fréquentent assidûment ce répertoire ; magistralement projetée et riche en aigu, sa voix s’épanouit mieux dans « Auf dem Wasser zu singen. » Elodie Hache, enfin, dévoile tout son tempérament dans de beaux Kurt Weill, après des Wolf un peu timides.
Pour accompagner ces 7 chanteurs, pas moins de 4 pianistes, dont certains héritent de parties pour le moins ardues : « Herr Oluf » demande toute son habileté à Philip Richardson, qui n’en manque pas, et la difficulté des pièces de Strauss contraint Alissa Zoubritski à s’accrocher aux barres de mesures. Jorge Gimenez et Françoise Ferrand sont des appuis fidèles pour Tiago Matos et Michal Partyka, mais s’il se conçoit aisément que tous ces jeunes pianistes, qui font partie intégrante de l’Atelier Lyrique, soient de la soirée, on regrette par moment que l’expérience d’un accompagnateur aguerri n’ait pas présidé à la tenue de ce beau concert. Quoi qu’il en soit, talents à suivre !
Ce concert est rediffusé gratuitement sur medici.tv.