Il faut parfois se méfier du titre des œuvres. Ainsi, Latest, donné en création mondiale ce soir-là, ne sera pas le dernier opus de Betsy Jolas : si la compositrice envisageait bien de tirer sa révérence sur ce titre évocateur, une nouvelle commande émanant de Simon Rattle et du London Symphony Orchestra l’a convaincue de se remettre à l’ouvrage. Et Latest ne porterait pas mieux son nom si on voulait le traduire par « récent » ou « actuel » : dans ce petit poème symphonique, qui n’excède guère la dizaine de minutes, Betsy Jolas reste fidèle à un état d’esprit l’amenant à davantage de consonnance et d’harmonie. C’est la recherche de lignes mélodiques expressives sur des rythmes quasi dansants qui l’irrigue, et que même l’important pupitre de percussions ne rend pas plus âpre. Les fréquents changements de mesure et les modulations successives de la pâte orchestrale, qui passe de sonorités chambristes aux grands éclats des effectifs à la Mahler, n’entravent pas non plus cet apparent souci de clarté et de lumière, et nous rendent attachante cette pièce conclue par un « Ho ! » lancé à l’unisson par tous les musiciens.
Après un entracte deux fois plus long que la première partie, la Résurrection de Mahler semble, elle aussi, se parer ce soir d’un titre trompeur. Car pour qu’il y ait « résurrection », il faut que la mort ait précédé, et la souffrance, les tourments, l’agonie. Or, la noirceur du premier mouvement semble d’entrée de jeu estompée par Klaus Mäkelä, qui vient chercher la lumière et la légèreté auprès de chaque pupitre de l’Orchestre de Paris : les cordes s’élèvent, diaphanes, les cuivres scintillent, les bois s’illuminent, et la Totenfeier introductive regarde déjà vers le dénouement du chœur final. Mäkelä voudrait-il imaginer Mahler heureux ? Sous cette atmosphère générale, la maîtrise orchestrale est stupéfiante, et assez aboutie pour éviter que le rubato, généreux, perturbe l’équilibre d’ensemble. Seulement, le propos semble parfois se résumer à une joyeuse exaltation du son : le deuxième et le troisième mouvements sont primesautiers, galants, jamais nostalgiques ni inquiétants, et un final sous stéroïdes, qui semble davantage guidé par l’ivresse des sons que par la recherche d’une élévation spirituelle, nous rappelle que, contrairement aux oreilles des spectateurs, l’acoustique de la Philharmonie peut bien endurer tous les débordements de décibels.
Les ombres et les mystères, on les trouvera dans le chant de Wiebke Lehmkühl, rare et authentique alto qui suspend le temps pendant un « Urlicht » délicatement humain, à la fois inquiet et tendre. Le mariage de sa voix d’ambre avec le timbre de lait de Mari Eriksmoen fonctionne à merveille, tandis que le chœur éblouit, tout simplement. Préparé à la perfection par Ingrid Roose, il fait à chaque instant la démonstration de sa cohésion sonore et musicale. De la douceur impalpable des premiers « Auferstehn » jusqu’à l’explosion des dernières mesures, le long crescendo de leur chant rayonne avec grâce et majesté, et rend le public, comme Mahler, très heureux !