C’est une gageure que de chanter à la salle Métropole, où l’opéra de Lausanne s’est installé depuis la saison passée pendant la rénovation de son théâtre: l’acoustique ne met guère en valeur les artistes. Pourtant, le drame tragique de Verdi a revécu… pour un soir.
Le rideau s’ouvre sur le salon luxueux de Violetta, aux murs de bois blanc, et où trône un grand canapé, unique objet de décor. Les invités entrent, en fracs et robes de soirée… On l’aura compris, cette mise en scène ne cherche ni transposition ni psychologie particulière. Et pourtant, que de beauté ! Tout nous a paru juste, pertinent, magnifique: le deuxième acte et son parterre de fleurs, la fête, décadente et jouissive… À l’image de quelques superbes films historiques, cette mise en scène aura su faire revivre le monde et l’esprit premier de la Traviata, de la Dame aux Camélias, dans toute sa splendeur et sa sublime décadence. L’action et l’attitude des différents personnages sont criantes de vérité (Violetta pudique dans l’intimité, Alfredo sanguin, jeune, …), jamais surfaites, donc bouleversantes, pour peu qu’on se prête au jeu. Le dernier acte, au lieu de s’ouvrir dans le salon précédent, voit les murs retournés comme si tout s’était transformé en un labyrinthe. La neige tombe sur la Traviata, écroulée, dans un décor qu’on peine à situer entre terre et antichambre des cieux. Merci à Arnaud Bernard pour nous avoir rappelé qu’une mise en scène au premier degré, lorsqu’elle est réalisée avec brio et en tenant compte de la musique, reste une merveille.
Viriginia Tola, d’une implication scénique sans réserve, nous aura inquiété au premier acte : vibrato hyperactif, au point qu’on se demande parfois quelle est la note chantée, signes clairs d’essoufflement dans son air, et aigus criés. Mais, dès la seconde partie, on se retrouve avec une Violetta de classe, la voix détendue, stable, magistrale dans les scènes décisives. Saimir Pirgu a suivi un parcours similaire en commençant par des coups de glotte à répétition, comme si chanter Verdi empêchait son legato. Heureusement, dès “Lunge da lei”, c’est un chant rond, solaire et facile qu’on découvre; une voix qui par son juvénile relief façonne un Alfredo idéal. Sebastian Catana a une couleur vocale convenant bien au rôle de Germont Père, mais le côté rocailleux et agressif du son fatigue quelque peu. On se permettra enfin de noter le Gastone de Benjamin Bernheim qui aura assuré de la plus belle manière ses quelques interventions. L’orchestre de chambre de Lausanne enfin est toujours l’excellent instrument que nous connaissons, dont le chef Paolo Arrivabeni tire une musicalité et une qualité sonore de premier ordre.
Non, cette Traviata n’était pas parfaite: on peut lui reprocher en premier lieu les différents problèmes vocaux, et certes, la mise en scène ne révolutionne rien. Mais le tout n’est pas la somme des parties : une tragique histoire, un monde entier ont revécu à Lausanne d’une sublime manière, l’espace d’une soirée.
Christophe Schuwey