Alors que sort chez Erato l’enregistrement des Quatre derniers lieder de Strauss par Diana Damrau, la tournée des Münchner Philharmoniker donnait l’occasion au public parisien de pouvoir juger de lui-même l’exercice périlleux auquel se livrait la chanteuse.
L’exercice est bel et bien périlleux, car comme le soulignait notre confrère Laurent Bury, on ne s’improvise pas interprète de ce cycle à la discographie déjà écrasante. Certes, par rapport à ses plus illustres interprètes, des voix plus légères (Gundula Janowitz) et des chanteuses plus jeunes (Lise Davidsen récemment) s’y sont frottées, mais le cas de la soprano bavaroise est plus délicat. Son allemand n’est certainement pas à mettre en cause, ni d’ailleurs sa musicalité. Le texte est compris, et porté avec désir ce soir-là, comme le prouve « Beim Schlafengehen », même si le violon solo de Lorenz Nasturica-Herschcowici y est certainement pour beaucoup. Vocalement, les moyens de la chanteuse atteignent ici leurs limites. Si les phrases sont conduites avec souplesse, on déplore des graves peu présents, et un registre médian contraint à la nasalité pour passer au-dessus de l’orchestre. La fin de « September » passe ainsi complètement à la trappe, malgré la baguette pourtant très légère de Valery Gergiev ce soir.
De la direction du chef ossète, on retient un privilège pour la transparence, et pour un son d’ensemble plutôt amaigri. Est-ce une volonté musicale ou une adaptation nécessaire aux moyens de sa partenaire de scène ? L’histoire ne le dit pas, mais une sensation de trop peu point également dans cette prestation orchestrale.
La Symphonie n° 5 de Mahler est peut-être l’œuvre emblématique de Gergiev. Alors que son doublé Symphonie n° 4 et Chant de la Terre de la saison dernière frappait surtout par son économie de moyens orchestraux, et par son refus catégorique de bruyantes facilités, le parti pris de ce soir est très différent. Le chef est conscient qu’un abîme sépare les deux œuvres précédentes de la 5e, et il aurait tort de se priver des éclats dramatiques que lui offre la partition. Galvanisés par un premier mouvement concentré à l’extrême, les musiciens de l’orchestre livrent ensuite un deuxième mouvement à l’agitation délirante. L’excellent cor solo de Matias Piñeira fait des merveilles dans le scherzo central, mais c’est avant tout l’atmosphère lunaire de l’Adagietto qui s’impose ce soir-là. Malgré une masse orchestrale réduite à l’essentiel, la tension qui unifie ce mouvement est palpable du début à la fin de la pièce. On aura rarement vu le chef aussi investi que dans la fougue du finale, et les applaudissements nourris du public confirment le caractère assez exceptionnel de cette interprétation.