Quelle mélodie pourrait se refuser à lui ? Laquelle résisterait à sa ligne de chant aérienne, à sa musicalité innée, à son émotion contenue. Quel que soit le répertoire où il se risque avec plus ou moins de bonheur, sans le moindre cabotinage en dépit de l’agitation médiatique qu’il suscite, Philippe Jaroussky demeure un authentique artiste.
Le public de mélomanes des concerts du dimanche matin est des plus réceptifs. Les places ne sont pas numérotées ; dès l’ouverture des portes, c’est la ruée. Les derniers arrivés devront se contenter de strapontins ou d’une visibilité « partielle ». D’attaque, mais presque conquis d’avance, un tel public mérite d’être bien traité. C’est le cas.
Tel un violoniste cherchant le son qu’il veut obtenir, le contre-ténor démarre en douceur avec « Mandoline » de Gabriel Dupont ; il purifie sa voix de fausset d’une importune nasalité matinale. « Le Colibri » d’Ernest Chausson éveille l’oiseau en lui et charme l’auditoire avec une bien jolie note tenue. « Nocturne » de César Frank avec sa prière ardente « Donne moi ta placidité ! » commence à faire monter la température de la salle.
« Songe d’Opium » de Camille Saint-Saëns lui fait lâcher aigus cristallins et sifflantes tournoyantes avant d’enchaîner sur une mélodie de Reynaldo Hahn, la magnifique « Offrande » de Paul Verlaine. « Voici des fruits, des fleurs […] Et puis voici mon cœur qui ne bat que pour vous » donne à admirer le beau travail de diction sur la langue chantée. Sans transition, cette première partie se termine sur le « Sombrero » endiablé de Cécile Chaminade.
Après un premier interlude pour piano, la deuxième partie réserve d’excellents moments. Les affinités du contre-ténor avec le compositeur proustien Reynaldo Hahn sont évidentes. S’il semble peiner un peu dans « À Chloris », il est émouvant à souhait dans le « Je frissonne encore » de l’amant en deuil du poème d’Alphonse Daudet : « Trois jours de vendange ». Puis, Jaroussky se divertit aux « Fêtes galantes », s’amusant même à surprendre avec un grave bien assis avant de se délecter de « L’heure exquise » qui conclura son récital.
Parmi les meilleurs moments notons encore, et surtout, la sensualité et la tendresse de « Nuit d’Espagne » de Massenet ainsi que la tristesse désespérée de cet « amour mort à jamais » qu’évoque « Le temps des lilas » d’Ernest Chausson. Sans oublier « Havanaise », le savoureux bis Franco-espagnol de Pauline Viardot qui lui autorise enfin quelques vocalises.
Certes la voix est courte, le spectre de ses couleurs est limité, mais elle est enchanteresse. La mélodie française a beau être habituée à des caresses plus voluptueuses, la pureté presque enfantine du timbre du chanteur et l’indéniable talent du conteur, justifient, si besoin est, ce flirt surprenant qui mérite le détour.