L’histoire d’amour entre Cecilia et le public bruxellois remonte aux premiers pas de sa carrière internationale. Dès les premières années de son parcours, Bartoli vint donner un premier récital avec piano pour ses débuts à la Monnaie de Bruxelles. Cette prestation scella immédiatement l’échange privilégié entre la mezzo soprano et le public de la capitale. Bartoli revint régulièrement à Bruxelles qui l’entendit notamment dans ses épisodes Vivaldi, Gluck, Malibran, ses compositeurs fétiches naturellement comme Rossini et Mozart mais également, de plus rares Haydn et Beethoven. Le fonctionnement de sa carrière définit toujours ces rendez-vous sous forme de concerts. La grande salle Henri Le Boeuf remplaça rapidement le Théâtre de la Monnaie pour accueillir ces différents évènements. La capacité de la salle de concert conçue par Horta (plus de 2200 places) était plus à même à répondre à l’engouement sans cesse renouvelé mais aussi, à la rentabilisation de cette onéreuse prestation. Après la réorganisation du tarif des catégories de places (suppression de la seconde catégorie tarifée en première), nous constatons cette année que l’arrière scène sera décorée d’une bonne centaine de places pour d’heureux volontaires prêts à admirer la Star de dos pendant deux heures… Désormais, la venue de Cecilia ne peut se concevoir sans l’appui de mécènes importants. Ce concert verra donc l’imposant groupe banquier Rothschild distribuer à la pelle des invitations à ses proches et autre collaborateur, reléguant à distance plus que respectable, les fidèles admirateurs de Cecilia. Soirée plus que mondaine donc en cette période de Noël, rehaussée de la présence princière de Philippe et Mathilde de Belgique. Le décor planté, examinons le menu. Cecilia nous revient dans l’exercice où sans doute, nous la préférons, le récital de mélodies. Les bras chargés de quelque trente ariettes, canzone et autre romance, elle va nous emmener pour un bien beau voyage automnal.
Comptant parmi ses fidèles collaborateurs, Sergio Ciomei, fort d’un impressionnant curriculum, sera ce soir au piano d’accompagnement. Terme adéquat, résumant parfaitement la prestation du pianiste. Soucieux et attentif à tout instant, on ressent de page en page, combien l’instrumentiste ne veut à aucun moment, ombrager la Diva, se pliant au plus exigeant des piani. Cela est louable à plus d’un instant, ce soutien discret mais efficace, permet plus d’une fois d’apprécier pleinement l’art de ciseleuse et d’orfèvre de Cecilia, notamment dans les Bellini. Néanmoins, l’art du récital nécessite également un échange d’égal à égal, un jeu de «questions réponses», des joutes parfois ou encore quand certain compositeur (Rossini), confère au piano un rôle d’alter ego. Force est de reconnaître que dans ces moments-là, Ciomei, plus que timoré, nous laisse plus d’une fois sur notre faim. Enfin, comment accepter d’un technicien de ce niveau, les improbables et trop faciles réductions de certaines parties (Regata) ?
Cecilia Bartoli ne décevra pas ce soir. On redira notre admiration pour le professionnalisme de cette artiste où absolument rien n’est laissé au hasard, témoignant pour nous avant tout, d’un immense respect pour son public, n’en déplaise aux estimés collègues snobant les secondes parties de ses concerts. Cette organisation parfaitement huilée, permet également à l’énergie de Cecilia de se concentrer uniquement sur sa prestation musicale. Au niveau du programme, il ne faudra pas être déçu ce soir, de ne pas être convié aux habituelles résurrections d’œuvres oubliées. Bartoli va revisiter un programme qu’elle maitrise pour la majorité depuis plus de dix ans et que l’on peut retrouver sur le bel album « Rossini, Bellini, Donizetti » avec James Levine. Au-delà du fait que ce répertoire n’est finalement pas si souvent interprété, il sera passionnant surtout d’entendre Cecilia se confronter à son propre souvenir et de constater son évolution musicale.
Des Rossini, on retiendra avant tout un art de coloriste, Bartoli parvient toujours à emballer son public même si on notera une virtuosité un peu amoindrie (Canzonetta spagnuola). La rupture stylistique entre les œuvres d’école italienne et celles destinées au goût légèrement décadent des salons parisiens, est remarquable. Les mélodies italiennes du Pesarese sont l’occasion pour Cecilia d’exhiber son chiaro oscuro et son infaillible sens rythmique mais toujours legato. Si on regrette qu’elle sacrifie la compréhension de sa « grande Coquette » sur l’autel expressif, son « Ariette à l’ancienne » et son « Orpheline du Tyrol » seront de superbes moments. Fort judicieusement, la Diva ne donnera pas la même importance à Donizetti dans son programme. Le compositeur de Bergame convainc moins dans cet exercice de miniatures où les réussites seront nettement moins nombreuses que chez ses deux illustres collègues Rossini et Bellini, Donizetti semblant avoir besoin de structures musicales autrement plus imposantes pour étaler son génie créateur. A tous niveaux, les Bellini seront le sommet expressif et émotionnel de cette belle soirée. Phrasés souverains, nuances, épure de la narration, ce moment définit et justifie le statut international de la Diva italienne. La fin du concert visera, ne le cachons pas, à obtenir le triomphe habituel réservé à ses apparitions. Garcia et Malibran en fers de lance, la Bartoli donne l’estocade à son public sortant enfin, d’une certaine réserve, également enlevé par les vagues de cris d’amour provenant surtout des hauteurs lointaines de la salle… Les bis accordés seront l’occasion de constater qu’un artiste peut parvenir à faire de la musique avec les mélodies de De Curtis, si souvent affublées des pires effets histrioniques. Splendide « Canto Negro » donnant à penser que Cecilia trouverait, en cette musique espagnole qu’elle affectionne tant, matière à de superbes concerts et disque. Un triomphe personnel et mérité vient conclure cette nouvelle victoire de la belle romaine dans la capitale européenne.