Beno Besson – et Ezio Toffolutti – face à l’Amour des trois oranges : l’affiche suscite une attente réjouie, et c’est avec délectation que l’on se lance pour deux heures dans l’absurdité onirique et géniale de l’opéra de Prokoviev. On ne sera pas déçu.
Sur le plateau, un théâtre dans le théâtre, décor « à l’ancienne » et ingénieux, où se déroule l’action sous les yeux des « ridicules », « tragédiens », et autres « sans-esprits » qui font naturellement office de public. Une action qui ne se confine pourtant pas à la scène, et n’hésite pas à s’en émanciper, notamment dans les intermèdes entre Tchélio et Fata Morgana. Dans l’ensemble donc, pas de « grande » relecture, mais une justesse de ton, une direction d’acteurs qui assure un spectacle d’une très belle tenue. Les lumières, en explorant des tons divers sont elles aussi remarquables : citons cette lune orange qui baigne un jaune sable irréel. On ose ainsi l’étrange – les divertissements pour le prince et Trouffaldino lui-même sont ambigus -, l’humour – la cuisinière est énorme, le soufflet de Farfarello est un vrai accessoire de théâtre-, et on nous présente donc, par une maîtrise consommée de la mise en scène, ce chef-d’œuvre de drôlerie et de bizarrerie sous son meilleur jour.
Cette même justesse de ton caractérise la distribution vocale. Chad Shelton possède l’instrument idéal pour le rôle du Prince dont la palette sonore va du comique à l’héroïque, tout en gardant la légèreté qui sied à son rire du second acte. Jean Teitgen en Roi incarne pleinement un père brisé, peut être plus neurasthénique encore que son fils. Sur un pas de danse perpétuel, Emilio Pons allie lui aussi à une voix idéale et brillante une aisance scénique qui créent un Trouffaldino convaincant. Et – c’est en somme ce qu’il faut retenir du plateau vocal – à aucun moment, on ne chante pour chanter, la musique semble aussi naturelle que la parole. Les seconds rôles ne déméritent pas non plus : Carine Séchaye incarne avec finesse Sméraldine, et les trois oranges de Suzanne Gritschneder, Agnieszka Adamczak, et Clémence Tilquin sont de charmantes princesses. De même, l’investissement et la qualité du Choeur du Grand Théâtre de Genève contribuent à la valeur du spectacle. La seule réserve nous vient du Tchélio de Michail Milanov trop approximatif dans le rythme et l’intonation. Le tout est emmené par la baguette attentive et contrastée de Michail Jurowski à la tête d’un orchestre de la Suisse romande de belle humeur.
Benno Besson, en homme de théâtre, a su trouver le ton idéal pour faire briller les facettes multiples et complexes de l’Amour des trois oranges. En y adjoignant une belle palette d’interprètes taillés pour leurs rôles, Genève a réalisé là une des meilleures productions de sa saison 2010-2011.