La production de Simon Boccanegra que vient de présenter l’Opéra de Montpellier était précédée d’une réputation flatteuse, puisqu’elle avait été saluée par 4 cœurs tant lors de sa création à Anvers que de son passage par Luxembourg. Certes, la distribution serait en partie différente, mais le spectacle resterait inchangé, et l’on s’attendait d’autant plus à un choc visuel que David Hermann a l’art de proposer des mises en scène intelligentes, riches d’un feuilletage de sens où les époques et les styles s’entrecroisent. On avait notamment pu être ébloui par sa vision de l’Armide de Lully ou d’Ariane à Naxos, à Nancy dans les deux cas. Sauf que cette fois, on a l’impression qu’à vouloir être trop malin, monsieur Hermann s’est un peu pris les pieds dans le tapis, ou a du moins succombé au piège du trop démonstratif.
L’intrigue de Simon Boccanegra n’est pas des plus limpides, du moins dans son exposition liminaire, et sur ce plan les choses commencent assez mal. Le héros est présent pendant tout le prologue, sans doute parce qu’il se remémore les événements, mais cela a pour inconvénient de rendre parfaitement incompréhensible la succesion rapide des épisodes, dont certains auxquels il doit explicitement ne pas avoir assisté. Passons sur l’opposition entre sa tenue moderne (un costume trois pièces qu’il conservera pendant toute la soirée) et les habits Louis XIII qu’arborent Paolo et les « plébéiens » – au moins un certain décalage temporel est-il ainsi suggéré. Mais dès la fin du prologue, les mêmes « marins et artisans » reviennent, cette fois en vêtements d’aujourdhui, et fêtent l’élection comme cela doit se pratiquer aujourd’hui dans les QG de campagne. Le reste du spectacle laisse penser que la suite de l’action restera fermement inscrite dans le XXIe siècle, mais pour le tableau du conseil, la plèbe fait irruption habillée comme la foule dans un péplum, tandis que Gabriele Adorno, jusque-là en jean et blouson de cuir, arrive déguisé en centurion romain tout droit sorti d’Astérix. Certes, Simon plaide l’amour et la paix, et il dénonce la présence d’un traître, donc le clin d’œil à la Cène de Léonard de Vinci n’a rien d’aberrant. Mais fallait-il vraiment que les protagonistes troquent discrètement leur costume pour la toge des Apôtres ? Surtout, même si Maria est son vrai prénom, Amelia devait-elle se changer en la plus sulpicienne des Vierges Marie ? On entend quelques gloussements dans le public, et cela se comprend, comme lors du recours répété aux téléphones (fixes) pour les échanges entre Paolo et Pietro.
© Marc Ginot
Heureusement, sur le plan musical, le bonheur est nettement plus grand. D’abord, l’Orchestre national Montpellier Occitanie sonne fort bien dans la fosse du Corum, et Michael Schønwandt le dirige sans esbroufe, dosant judicieusement les effets pour que la musique du dernier Verdi triomphe sans éclats intempestifs. Le chœur de l’Opéra se montre lui aussi tout à fait à la hauteur de l’enjeu.
Quant aux solistes, ils se révèlent d’un niveau bien mieux que satisfaisant. Vu récemment en Nabucco à Nancy et Montpellier ou en Renato du Bal masqué à Nancy, Giovanni Meoni est un baryton aux belles couleurs, qui aurait bien des atouts pour s’épanouir dans le répertoire verdien, s’il possédait en outre cette aura indispensable qui lui fait ici cruellement défaut : son appel à la fin de la scène du conseil manque de cette puissance qui lui permettrait de s’imposer vraiment. Heureusement, les deux autres clefs de fa sont tout à fait remarquables. On est d’emblée frappée par la noirceur du timbre de Leon Kim, par le mordant de ses interventions, qui l’aident à camper un méchant sans rien de caricatural, sans la moindre grimace, contrairement à d’autres titulaires du rôle : le pouvoir seul de la voix lui suffit. Dans ce qui est vraisemblablement sa prise de rôle en Fiesco, Jean Teitgen propose une incarnation majestueuse, avec une puissance et un creux dignes comme on n’en entend pas si souvent. On rêve désormais de pouvoir l’applaudir en Philippe II ou en Procida, surtout dans les versions originales de ces opéras écrits pour Paris, où il ferait merveille, à n’en point douter.
Pour ce qui a tout l’air d’être ses premiers pas en France, le ténor Vincenzo Costanzo fait valoir de belles teintes « pavarottiennes » dans l’aigu et se tire avec les honneurs du rôle peu gratifiant d’Adorno. Avec son élégance et sa silhouette de jeune fille, Myrtò Papatanasiu a fière allure en Amelia, alors même que la mise en scène nous la présente tantôt en névrosée prête à tuer Boccanegra par tous les moyens disponibles à la fois, tantôt en Madone bénissant l’assemblée. Sur le plan strictement musical, le rôle exige la quadrature du cercle puisqu’il faudrait une voix apte à assurer les amples lignes que Verdi lui destine et les nuances angéliques de la jeune héroïne ; on pardonnera donc à la soprano grecque – seule interprète à avoir été présente dans les diffrentes étapes de cette coproduction – de ne pas toujours satisfaire à ces exigences contradictoires.