Pour ses cinquante ans, l’Orchestre National des Pays de la Loire fait la part belle à la musique contemporaine en recréant Siegfried Nocturne, en coproduction avec Angers Nantes Opéra. L’œuvre est une commande à Michael Jarrell de l’unique édition du Festival Wagner de Genève qui fêtait en 2013 le bicentenaire de la naissance du compositeur. Olivier Py signait à l’époque le livret de cette œuvre scénique dont il présente également aujourd’hui la mise en scène.
Omniprésent, Otto Katzameier porte de bout en bout une écriture dense qui lui impose d’utiliser toutes les ressources de son instrument. Familier du répertoire contemporain, le chanteur prête son timbre ductile et généreux à un Siegfried au désespoir profondément crédible, incarné avec une grande authenticité, sans affectation aucune. Parfois, l’accablement est tel que le chant laisse la place à une voix parlée voire murmurée assez envoûtante, d’autant plus que diction et phrasé sont irréprochables. Pour mieux donner à entendre la détresse du héros déchu, souligner inconfort et déséquilibre, le compositeur a choisi de substituer une tessiture de baryton à celle du ténor wagnérien tout en lui imposant de nombreux aigus. L’artiste joue avec beaucoup de maîtrise de cet ambitus périlleux, conservant la couverture dans les notes les plus hautes sans trop détimbrer même dans les nuances piano.
© Angers Nantes Opéra
Face à lui, le danseur Mathieu Coulon campe l’ange de l’Histoire, tout comme le Siegfried héroïque d’avant le Götterdammerung, lorsque que le crépuscule n’avait pas encore cédé la place à la nuit.
Les filles du Rhin, quant à elles, sont trois parques qui ponctuent presque trop discrètement la narration. On aurait aimé que l’œuvre donne plus la parole à Dima Bawab, Pauline Sikirdji, Sophie Belloir, impeccables et investies. Mais, comme le dit le texte, le Rhin ne coule plus désormais, son flux s’est fait cendre, et il est donc pertinent qu’elles ne prennent la parole qu’en sourdine.
La voix du héros n’est plus tout à fait à sa place, les ondines sont en deuil… De même, l’orchestre wagnérien s’est délité au profit d’un ensemble instrumental composé de neufs excellents solistes aux sons heurtés, cabossés. Flûte, clarinette, cor, trombone, percussions, alto, violoncelle, contrebasse jouent des nappes musicales aussi puissamment expressives que nuancées. La musique électronique intervient avec beaucoup de raffinement et de naturel. Pascal Rophé, le chef d’orchestre, cisèle les climats, souligne la densité instrumentale de la partition et se livre à un travail des contrastes d’une remarquable justesse.
© Angers Nantes Opéra
Le compositeur refuse manifestement l’emphase, l’ostentation, et l’équipe artistique, en parfaite symbiose, choisit une interprétation assez littérale mais superbement esthétique du texte. Un camaïeu du gris au noir plombe les sobres costumes et le décor de Pierre-André Weitz qui évoquent les Ailes du Désir de Wim Wenders. Siegfried, ange déchu, déambule devant un grand écran qui déroule des photographies en noir et blanc de villes allemandes en ruine.
Les belles lumières froides de Bertrand Killy utilisent l’arrière de cet écran pour des jeux d’ombres chinoises qui se dénoncent comme telles sans rien perdre de leur efficacité. Elles brossent toute un pantomime de la défaite dans des métaphores qui peuvent même se révéler plurielles. Ainsi ces chaussures qui tombent brutalement des cintres, bombes larguées du ciel, mais également preuves accablantes de l’efficacité des camps de la mort.
Siegfried personnifie « l’âme, la culture et la métaphysique allemande » pour Olivier Py qui s’interroge : « Comment le pays dont le système culturel et éducatif qui était le plus performant de l’histoire de l’Europe, a-t-il pu produire le plus grand crime de l’humanité ? Pas n’importe quel pays. Le pays qui était allé le plus loin dans la définition de la culture[… ] Il y a là un vertige puisque l’on nous a habitués à comprendre que la culture s’opposait à la barbarie ».
De cette longue déploration, on peut regretter un certain intellectualisme, ainsi que la place prégnante des mots, alors même que c’est leur inopérance qui est dénoncée. Le spectateur aspire alors à des moments où la musique développerait seule ses méandres hypnotiques.