Le printemps revient et avec lui l’Orchestre National de France prend ses quartiers au Théâtre des Champs-Elysées, pour les dernières fois sous la baguette de son directeur musical Daniele Gatti, en partance pour le Concertgebouw. Avant les Wesendonck Lieder chantés par un certain ténor et une série de représentations de Tristan und Isolde (voir notre brève), la phalange a invité Camilla Tilling dans un programme tourné vers le XXe siècle naissant.
Mise en bouche en forme de contre-pied, les cordes s’échauffent sur le Divertimento K138 de Mozart. Le chef organise dans une grande économie de gestes les chants et contrepoints, les contrastes entre les thèmes, les sautillements. L’andante est extrêmement contrôlé et retenu, à l’opposé de la plupart des interprétations actuelles de Mozart. Le temps pour le public de se régaler du son chaud et rond de l’orchestre, qualité dont il ne se départira pas tout au long de la soirée.
La soprano suédoise, que Paris connaît bien davantage comme mozartienne, se glisse entre les rangs de l’orchestre dans une robe fourreau églantine. Son interprétation des Sieben frühe Lieder sera au diapason de l’orchestre, fourmillant de détails et de couleurs, épousant les étrangetés debussystes, se jouant des écarts straussiens de ces pages orchestrées vingt-huit ans après leur composition initiale par Berg. Daniele Gatti navigue en grand timonier dans cet assemblage d’un bord pointilliste à l’autre rive lyrique. La balance entre la soliste et l’orchestre est en défaveur de celle-là. La Suédoise manque d’assisse dans les graves qu’elle compense par un surcroît de musicalité dans le registre supérieur, notamment dans Tramgekrönt parsemé de piani et de demi-teintes. Appliquée sur le texte, elle ne se défait jamais tout à fait d’un air mutin qui n’est pas toujours accordé au propos.
Une espièglerie davantage bienvenue dans le Sehr behaglich de la IVe symphonie de Mahler donnée en deuxième partie. Libérée et mieux projetée, la voix de Camilla Tilling nous promène avec amusement dans ces « joies célestes » tant la diseuse s’approprie le texte comme une conteuse pour enfants. Dans la continuation du Berg, Daniele Gatti donne une lecture complexe, attentive à chaque piste de la partition avec des bonheurs variés. L’orchestre, très concentré, suit les ruptures de rythmes que le chef impose. Le premier mouvement voit son final en forme de danse ironique soudainement accéléré, et les interludes orchestraux du quatrième joués en tutti forte comme pour seconder l’effervescence paradisiaque décrite par le chant.