L’Opéra Comique a trois cents ans. Le chiffre est de ceux que l’on se doit de ne pas laisser passer. En même temps, comment célébrer comme il convient en une seule soirée trois siècles d’un genre unique, auquel l’art lyrique doit certains de ses plus grands chefs d’œuvre. A ce casse-tête en forme de piège, Jérôme Deschamps qui préside jusqu’en 2015 aux destinées de la maison, a choisi une solution simple et efficace : évoquer ces trois cent glorieuses de manière chronologique sous forme d’un passage en revue des plus grandes heures de l’institution. Pour que la fête ne tourne pas à l’énumération indigeste, le parti a été pris de faire court – 2 heures sans entracte – et drôle, sachant que l’humour est exercice délicat, même quand le mot « comique » fait partie intégrante – à plus ou moins juste titre – du nom.
Avec Michel Fau, Dieu merci, on a limité la casse. Celui qui mit en scène Ciboulette ici même en 2013 a depuis le temps rodé son numéro de diva au bord de la crise de nerf. Déguisé en Carmen puis en Mélisande, le comédien est d’une drôlerie à toute épreuve. Les sketchs, souvent désopilants, toujours pédagogiques, assurent la transition entre les différentes pages musicales. Le choix de ces dernières, illustrées avec imagination et fantaisie par Emmanuel Charles, prêtent évidemment à discussion. Il a fallu tailler dans le vif d’un répertoire pluriel, assis entre deux chaises : parlé et chanté, tragique et comique, audace et convention.
Michel Fau et Jérôme Deschamps © Pierre Grosbois
Le spectacle n’est pas commencé depuis 20 minutes que l’on a déjà balayé près de 150 années, soit la moitié du parcours théorique. Auparavant, Dauvergne et Duni ont eu droit chacun à un air dont l’interprétation embarrassée des élèves de l’Académie ne saurait convaincre de tirer leurs auteurs de l’oubli. L’âge d’or, de Grétry à Auber est allègrement enjambé. Michel Fau fredonne d’une voix de châtré « Je crains de lui parler la nuit » afin que ne soit pas totalement passées sous silence ces années pourtant constitutives du genre. Voici Donizetti brandi par le soprano rafraichissant de Julie Fuchs, puis à tous seigneurs, tout honneur : Berlioz, Bizet, Delibes, Massenet, Debussy sur lesquels le show s’attarde longuement. Avantage est donc donné aux tubes du répertoire en tenant compte des chanteurs invités. Si certains titres ne figurent pas au programme, c’est qu’il manque ce soir les voix pour leur rendre justice. Certaines d’entre elles ne sont pas pour autant les mieux adaptées aux partitions qui leur sont confiées. Ainsi le baryton héroïque de Dapertutto (Les Contes d’Hoffmann) n’a pas grand-chose à voir avec la vocalité de Vincent Le Texier. Golaud dans Pelleas et Mélisande correspond plus à sa maturité. Le chant de Frédéric Antoun ne peut encore s’épanouir dans le lyrisme ardent de des Grieux. Mais il fallait un ténor pour donner la réplique à Manon dans le duo de Saint-Sulpice et le chanteur canadien y met tout ce que ses moyens lui permettent. Patricia Petibon vient de faire ses débuts dans le rôle de la coquette à Vienne. Le personnage est dessiné scéniquement quand musicalement le trait demande encore à être précisé. La clarté de l’élocution est une des clés du l’opéra-comique. Stéphane Degout, Anna Catarina Antonacci et Sabine Devieilhe en font la brillante démonstration : le premier en Mârouf mais surtout en Pelléas dans une sortie des souterrains comme on aimerait entendre toujours ; la deuxième dans La Damnation de Faust, Carmen et, plus encore, dans l’extrait de La Voix Humaine de Poulenc, vaste monologue où le chant épouse précisément le contour des mots ; la troisième en interprétant une Lakmé dont on boit les paroles. L’air avec ses coloratures ébouriffantes demeure intrépide. Il l’aurait semblé encore davantage si la soprano n’avait auparavant en Olympia fait preuve d’une témérité supérieure. Le naturel avec lequel elle réussit des variations inédites à des hauteurs vertigineuses laisse pantois.
© Pierre Grosbois
Le genre Opéra Comique a souvent négligé les chœurs. Accentus n’a pas de numéro en tant que tel mais apporte un contrechant limpide chaque fois qu’on le sollicite. François-Xavier Roth s’emploie à servir avec la même pertinence des partitions disparates. Entre l’ouverture de La Dame blanche et l’extrait de L’Enfant et les sortilèges, il n’y a qu’un siècle de distance et pourtant un monde sépare l’orchestration de ces deux ouvrages. C’est dire la richesse d’un répertoire qui malgré ses trois siècles désormais révolus reste d’une jeunesse inébranlable, à l’image de ce spectacle que l’on peut voir et – si l’on y tient – revoir sur Arte Concert jusqu’au 28 décembre.