La (trop) grande salle Henri Le Bœuf était loin d’être comble ce jour de Carnaval pour un programme pourtant bien alléchant : complétant sa programmation des trois grands cycles de Schubert, La Monnaie, en collaboration avec le Palais des Beaux Arts, accueillait mardi l’excellent baryton danois Bo Skovhus dans le Schwanengesang, accompagné du non moins excellent pianiste viennois Stefan Vladar.
Bo Skovhus, qui débuta sa carrière en 1988, a construit sa réputation sur un très grand professionnalisme, un timbre d’une richesse exceptionnelle et un intérêt constant pour le lied, à côté des rôles prestigieux que lui offrait l’opéra. Aujourd’hui, si la voix a un peu perdu de sa brillance juvénile – dont les enregistrements qu’il fit avec Helmut Deutsch notamment restent les témoins – l’artiste a gagné en maturité. Un impressionnant physique de marin des mers du nord a remplacé son ancien look à la James Bond, le registre grave est un peu moins sonore, mais le medium et l’aigu restent d’une grande richesse. Presque austère, cet homme pudique ne dévoile qu’avec réserve une sensibilité touchante qu’il met au service de la poésie et de la musique.
Il a composé son programme en offrant le dernier cycle de Schubert dans un ordre peu habituel et avec quelques compléments. On sait que Schwanengesang n’est pas à proprement parler un cycle voulu tel quel par Schubert : c’est la juxtaposition – proposée sans doute pour des raisons commerciales par l’éditeur Tobias Haslinger – de deux séries de lieder écrites l’année de la mort du compositeur et ressortissant à peu près de la même veine. Depuis une quarantaine d’années, on y ajoute généralement, à la suggestion de Dietrich Fischer Dieskau, le lied Herbst D.945 dont la thématique s’inscrit particulièrement bien dans le cycle. Skovhus a décidé de commencer son récital par cinq lieder sur des textes de Seidl (dont le Taubenpost extrait du cycle), puis de donner le reste de Schwanengesang au complet, y inclus Herbst, mais en inversant les deux parties du cycle, les textes de Heine précédant dès lors ceux de Rellstab. Cela donne au final un récital en trois parties à peu près égales, bien balancé mais bien sombre, qu’il décline avec un sens poétique très proche du texte, beaucoup de concentration mais aussi beaucoup de réserve dans l’expression, et une grande intensité dramatique, sans mièvrerie aucune.
Au piano, Stefan Vladar contribue pour beaucoup au climat poétique de la soirée ; musicien sensible, discrètement efficace, très précis dans ses interventions, il reste cependant au second plan, mais établit pour chaque lied les conditions d’épanouissement du texte et de mise en valeur de la voix.