Tirant sa révérence après dix ans passés à hisser le Chœur amateur de l’Orchestre de Paris au niveau des plus dignes ensembles professionnels, Lionel Sow méritait plus qu’un quart d’heure de musique. Le programme initial de ces concerts l’avait d’alleurs bien compris, qui prévoyait que toute la seconde partie soit consacrée à des œuvres vocales partageant un même souci d’équilibre entre la plénitude du son et la mise en valeur du texte, et constituant ainsi un parfait support pour des choristes désireux de montrer l’étendue de leurs talents : au délicat Nachtlied de Schumann devait ainsi succéder le rare Gesang der Geister über der Wassern de Schubert, avant le Schicksalslied de Brahms. Mais seule cette dernière pièce a pu être maintenue, en raison de contraintes d’effectifs et pour d’évidentes raison de confort, puisque les chanteurs ont dû garder leur masque tout au long de la représentation.
Mais la brièveté de cette prestation nous l’a rendue d’autant plus précieuse : car avec Lionel Sow, qui prendra les rênes du Chœur de Radio-France à compter de septembre 2022, le Chœur de l’Orchestre de Paris a accompli d’énormes progrès, cultivant sa propre sonorité où la clarté domine, élargissant son répertoire, osant les œuvres les plus difficiles (on se souvient d’un beau War Requiem), défrichant parfois des raretés (Josquin des Prés, Lili Boulanger). Et le Schicksalslied de ce soir l’a brillamment démontré. Dans ce qui est parfois présenté comme une petite sœur de son Requiem Allemand¸ Johannes Brahms se confronte à un long poème hellénisant de Hölderlin dont il choisit d’épouser fidèlement les évolutions, en accusant les contrastes entre la joie céleste des génies et les tourments des humains, jusqu’à ce qu’un étonnant postlude orchestral nous fasse retrouver l’état de félicité initial. Le soin de rendre le texte le plus intelligible possible, sans sacrifier la souplesse des lignes mélodiques ni le savant étagement des tessitures, permet aux spectateurs de suivre chaque étape de cette construction fascinante. Le dialogue avec l’Orchestre de Paris, sous la baguette dynamique de Daniel Harding qui avait montré, pendant son mandat de directeur musical, ses affinités avec Brahms et avec le Chœur, se poursuit dans un tendre Geistliches Lied donné en bis.
Auparavant, on a admiré la résilience de ce même orchestre dans les méandres d’un Siegfried-Idyll rajouté à la dernière minute pour pallier les déprogrammations : sur les chemins de ce Wagner chambriste, Daniel Harding se fait guide pour souligner les motifs et organiser les plans sonores, et poète quand il s’agit de susciter les respirations, d’inviter les musiciens à s’abandonner au lyrisme de cette sérénade en forme de paraphrase. Un même engagement a traversé, en première partie, le Concerto pour violon d’Edward Elgar. Cette quasi-symphonie concertante aux impressionnantes proportions, où le compositeur anglais a amalgamé les influences de Brahms, Wagner ou Bruckner, peut séduire ou rebuter, selon que l’on trouvera ses thèmes émouvants ou grandiloquents, et son orchestration, grandiose ou boursouflée. On sait d’autant plus gré à Harding et à Renaud Capuçon de rivaliser de sobriété et de probité musicale, privilégiant la rigueur rythmique et le déploiement des mélodies : le chant, en somme, comme un avant-goût de ce qui nous attendait après l’entracte…