L’Opéra de Pise a réuni un plateau vocal remarquable pour cette Madame Butterfly, œuvre ô combien exigeante parmi toutes celles du répertoire en général et de Puccini en particulier. Un plateau vocal ou plutôt deux puisque d’un jour à l’autre, les rôles principaux étaient interprétés par des chanteurs différents.
Pour commencer, le 12 novembre, Donata D’Annunzio Lombardi est une Butterfly proche de l’idéal. L’étendue de sa voix et sa diction exemplaire lui permettent de faire évoluer le personnage sans difficulté : de la jeune fille frêle à la femme qui se sacrifie. Dotée d’une gestuelle délicate et finement ciselée, Mihoko Kinoshita, le lendemain, atteint aussi ce difficile équilibre en apportant toute la consistance nécessaire du rôle. Son legato admirable notamment durant l’air « Un bel di, vedremo » et sa gestion du souffle traduisent une technique sans faille.
Dans le rôle de Pinkerton, la voix de Leonardo Caimi (12/11) s’illustre par l’intelligence d’un chant nuancé. A l’aise dans les aigus, son timbre solaire achève de séduire. Quant à Park Sung Kyu (13/11), malgré une indéniable volonté de bien faire, il surprend plus par sa nationalé – coréenne dans un rôle d’officier américain – que par ses qualités vocales et scéniques, .
En ce qui concerne les rôles secondaires, on a rarement vu Suzuki interprétée avec autant d’investissement vocal et scénique ; Hermine Huguenel remporte un succès bien mérité. Sergio Bologna campe un Sharpless respectable et Mauro Buffoli est un entremetteur crédible.
Les voix sont là, certes, mais comment se marient-elles à l’orchestre ? La question souligne la faiblesse de cette production. La soirée du 12 novembre, particulièrement, avait des allures de répétition. Dès le début, la direction imprécise d’Alberto Zarpellon dévoile un ensemble brouillon qui a pour conséquence d’effacer toutes les couleurs et les subtilités pourtant incontournables de la partition. L’inconstance du tempo provoque de nombreux décalages entre les chanteurs et les musiciens. La bagarre entre fosse et plateau est d’autant plus audible que l’orchestre semble vouloir s’imposer au détriment du soutien qu’il est censé apporter aux chanteurs. La représentation du lendemain gagne en qualité sans pour autant résoudre toutes les imperfections relevées la veille.
Signée Kan Yasuda, la scénographie épurée du premier acte se compose d’un podium rectangulaire qui représente la maison de Pinkerton délimitée par deux murs frontaux symbolisant les ailes d’un papillon. Au fond de la scène, côté jardin, surplombe un immense caillou aux formes harmonieuses qui représente d’après le metteur en scène, l’enfant. C’est d’ailleurs devant cette ossature que Butterfly et Pinkerton s’étreignent. Le décor de la deuxième partie est tout aussi symbolique. Les ailes du papillon disparaissent, le podium demeure. On distingue un chemin surélevé qui conduit vers les coulisses d’où apparaîtra l’enfant de Butterfly. Le reste du plateau est dominé par un torii, portail traditionnel japonais, qui symbolise le passage du monde réel au monde spirituel. Alors que le dénouement approche, un deuxième torii se pose à l’extrémité de la maison de Butterfly qui s’apprête à se libérer dans l’au-delà. Les lumières de Fabrizio Ganzerli habillent ingénieusement l’espace et contribuent à donner à cette œuvre le relief qu’elle mérite. On pourra reconnaître des similarités avec la mise en scène de Robert Wilson avec toutefois plus de chaleur et d’humanité. Les costumes somptueux de Regina Schrecker sont lourds de sens. Par exemple le manteau rouge vif de Butterfly du premier acte, qui à la fin de l’opéra symbolisera la passion de l’amour qui tue.
Pour clore, saluons la direction d’acteur claire et précise de Vivien Hewitt qui nous offre des images captivantes notamment la scène finale dans laquelle Suzuki serrant l’enfant dans ses bras repousse d’un geste Pinkerton qui s’effondre finalement devant le corps de Butterfly.