Poursuivant le rythme effréné de ses Nightly Opera Streams, le Metropolitan Opera proposait à son public mondial la diffusion de sa production de Satyagraha, coproduit avec l’ENO en 2007 où elle fut créée. Il s’agit ici de la captation de la reprise du spectacle en 2011, fort du succès qu’il avait rencontré à son arrivée au Met.
Cette production de Phelim McDermott est une franche réussite. Elle parvient à mettre en valeur l’aspect profondément méditatif de la musique de Glass, voire spirituel ici, et en même temps le poids tragique de l’histoire qui sous-tend toute cette œuvre pourtant dénuée, comme souvent chez Glass, d’une véritable intrigue au sens traditionnel du terme. Les décors de Julian Crouch, tout de tôle ondulée, se prêtent aisément aux différents lieux – et époques – que nous traversons au fil de ces trois actes, d’autant mieux retranscrits par la beauté des costumes parfois somptueux de Kevin Pollard, dont le réalisme contraste avec l’univers poétique qui nous est offert.
L’omniprésence, en leitmotiv, des motifs de l’écriture, du discours ou du papier journal permet à la production d’aborder, via la force visuelle de tableaux fascinants, le thème du pouvoir des mots, pouvoir révolutionnaire, pouvoir mystique aussi, sachant que le texte chanté, en sanskrit, est tirée de la Bhagavad-Gita… Chaque scène, impressionnante, file la thématique : ainsi du combat de figures monstrueuses de papier journal sur échasses durant The Kuru Field of Justice, des immenses marionnettes de papier mâché évocatrices du Bread and Puppet Theatre (Confrontation and rescue), ou des envolées de feuilles de journal en référence à l’Indian Opinion fondé par Gandhi en Afrique du Sud durant la scène éponyme. A la manœuvre sur le volet échasses/marionnettes, le Skills Ensemble démontre là tout son talent créatif et théâtral. Les figures tutélaires que sont Tolstoï, Tagore ou Luther King sont habilement insérées au sein de la mise en scène : particulièrement, la scène finale, Gandhi au pied du pupitre où MLK mime la proclamation de son célèbre discours, fait ressortir toute la puissance des idéologies portées par ces grandes figures qui ont fait l’Histoire.
Ken Howard ©Met Opera
L’excellence est aussi musicale. Dante Anzolini propose une version de Satyagraha emprunte d’émotion et de tragique. Le choix des tempos, les transitions, les accents mis sur certaines reprises de cycle : chaque opportunité est saisie pour imprimer une force bouleversante à la partition de Glass, restituant sa part de spiritualité inhérente à cet opéra.
Richard Croft campe un Gandhi imprégné de la force mystique de son message spirituel et politique. Il restitue toute la résilience du personnage face au sort qui lui fut réservé (Confrontation and Rescue) mais aussi toute la capacité d’attraction du leader qu’il était (Protest). Sa voix légère se prête parfaitement au rôle, et sa prestation lors de la scène finale laisse irrémédiablement le public en larmes. Rachelle Durkin campe une Miss Schlesen toute en puissance, alors que Maria Zifchak apporte une dimension vulnérable intéressante au personnage de Kasturbai.
Vétéran de la production de 2008 lui aussi, Kim Josephson propose un Mr. Kallenbach d’excellente facture, tandis que le Parsi Rustomji d’Alfred Walker fait montre d’une puissance poignante. Bradley Garvin apporte pesanteur et gravité à son magnifique Prince Arjuna, tandis que Richard Bernstein a toute la dignité et l’étrangeté d’un Lord Krishna efficace. Menton spéciale pour le chœur du Met qui se prête à la perfection à l’exercice, pourtant très périlleux, du chant choral version Glass.