Une affichette accueillait les spectateurs de cette première, indiquant que « Monsieur Rolando Villazon a décidé sur les conseils de son médecin de ne chanter le rôle titre de Werther de Jules Massenet qu’à partir du 3 mars »1. Il était donc remplacé au pied levé par Ludovic Tézier dans la version pour baryton de l’œuvre2. Au vu de l’accueil très enthousiaste au tomber de rideau, le public n’aura pas été trop déçu du forfait de Rolando.
On pourra s’interroger sur la vraisemblance du maintien du ténor mexicain pour les dates restantes… Il serait cependant frustrant de ne pouvoir entendre Werther dans sa composition « originale » pour ténor, comme prévu initialement, la comparaison des deux versions pouvant s’avérer passionnante.
De cette version pour baryton, parlons-en. Ecrite dix ans après la création de l’œuvre pour Mattia Battistini, elle n’a été que fort peu reprise. Moins romantique, moins exalté, plus sombre et tragique, le Werther baryton semble s’éloigner davantage du modèle Goethéen du jeune homme de 23 ans, au profit des affres d’un homme plus mûr. Cette réécriture peut s’avérer frustrante pour l’auditeur habitué à la version classique pour ténor (particulièrement dans l’air « J’aurai sur ma poitrine » ou les vers d’Ossian), un des principaux effets de cette réécriture du rôle, hormis le changement de tessiture, étant de priver le personnage de ses envolées dans l’aigu, et par la même,de sa fougue juvénile. Par exemple, l’expressive montée du « Pourquoi me réveiller-er » au la dièse aigu disparaît ici totalement3 .
Qui mieux que Ludovic Tézier peut actuellement défendre le bien-fondé de cette version. Le baryton maîtrise parfaitement la tessiture tendue du rôle et son timbre mâle fait merveille. Que l’on n’attende pas de lui un Werther extraverti, comme le serait vraisemblablement celui de Rolando Villazon ! Ce n’est pas sa nature, ni celle du personnage ici. La douleur est plus intériorisée, mais nulle froideur ou raideur pour autant chez le chanteur : le personnage jamais excessif en paraît d’autant plus touchant.
Il trouve en Susan Graham une Charlotte vocalement épanouie. La chanteuse semble au début sur la réserve… Mais rapidement elle déploie un timbre plein et charnu (ici encore, difficile de croire que l’on est en présence d’une jeunette de 20 ans…). La voix sait se faire tantôt caressante tantôt rugissante et le français est tout à fait intelligible. Il manque juste un peu d’abandon à l’interprète pour être totalement bouleversante.
La Sophie de la soprano slovaque Adriana Kucerova est pimpante. Sa vitalité et son physique menu la rendent totalement crédible en jeune fille. La voix, bien projetée et joliment timbrée s’éloigne fort heureusement des sopranes légères astringentes souvent distribuées dans le rôle. On ne pourra pourtant pas passer sous silence un défaut rédhibitoire : une prononciation française plus qu’exotique qui a des effets comiques involontaires… Madame Reiss n’était-elle pas disponible pour les répétitions ?
Ce défaut s’avère d’autant plus criant que les autres interprètes sont idiomatiques. On citera au premier plan le Bailli d’Alain Vernes tout simplement idéal : on comprend le moindre mot sans aucun effort 4. Franck Ferrari partage en grande partie cette qualité avec son aîné et campe un Albert massif mais émouvant.
Il ne faudrait pas oublier de citer les enfants, mutins et bien chantants, mais aussi la direction d’orchestre de Kent Nagano très analytique et pourtant poétique dans la scène du clair de lune, tumultueuse au troisième acte, soutenant parfaitement les chanteurs.
Le bonheur aura été malheureusement moins complet sur le plan visuel pour cette production importée de Munich. On passera rapidement sur des décors à la signification métaphorique appuyée (la scène est en effet couverte de tags du sol au plafond, reprenant les logorrhées écrites de Werther), et à l’effet visuel assez peu esthétique. Le dispositif scénique est simplissime : le héros trône au milieu de la scène, son bureau posé sur un rocher ; autour de lui un plateau tournant portant divers éléments de mobilier au gré des scènes. Le procédé intrigue au premier abord, mais devient vite redondant et n’apporte que peu à la lisibilité du spectacle. On retiendra davantage le travail sur le jeu d’acteurs de Jürgen Rose, plutôt fouillé.
Au final on aura passé une très bonne soirée qui vaut davantage pour le casting de haut niveau réuni, que pour cette version baryton, qui bien qu’intéressante, ne permet pas d’oublier totalement la version pour ténor… que l’on pourra peut-être entendre avec Monsieur Villazon…
1 Cette affichette aura permis à la direction de l’Opéra de Paris de s’exonérer d’une annonce avant le lever de rideau qui aurait à coup sûr entraîné une bronca.
2 Double première d’ailleurs, car la version pour baryton n’avait, sauf erreur, jamais été représentée à l’Opéra de Paris.
3 On est d’autant plus gênés que la partition ne semble pas avoir été modifiée et les climax vocaux semblent en décalage par rapport à l’accompagnement musical…
4 Révélant d’ailleurs par comparaison un certain manque de mordant dans la diction du rôle-titre