Quel bonheur d’entendre enfin un des plus grands rôles du répertoire français reconquis par une interprète qui chante dans sa langue natale ! Après tant de Dalilas venues de l’est de l’Europe, il se présente aujourd’hui une artiste française capable de leur succéder ! Authentique contralto, Aude Extrémo n’a pas à s’inventer des graves, à poitriner ou à forcer, car elle a naturellement le timbre pour lequel Saint-Saëns a conçu son personnage. Et ses aigus sont tout aussi insolents, ce qui ne gâte rien. L’heure des grands rôles a sonné pour cette ancienne élève de l’Atelier lyrique de l’Opéra de Paris : Saint-Etienne nous la montrera bientôt en Isabella de L’Italienne à Alger, et la saison prochaine en Arsace de Sémiramis. Mais c’est dans le répertoire français que nous voudrions aussi et surtout la retrouver : Sylvie Brunet ne chante plus guère Dalila, mais la relève de Denise Scharley est désormais assurée.
Deuxième motif de satisfaction : le Grand-Prêtre d’Alexandre Duhamel. Egalement passé par l’Atelier lyrique de l’OnP, le baryton possède l’étoffe et l’autorité d’un personnage auquel il sait conférer la véhémence et la perfidie qu’appelle le livret. Bien qu’il cumule deux brefs rôles de basse, Nicolas Cavallier disparaît hélas après le premier acte, non sans avoir fait fort belle impression en Vieillard hébreu. Face à ces chanteurs qui confèrent à leur texte tout le relief souhaitables, on ne peut qu’être d’abord déçu par le Samson de Stuart Skelton. Bien sûr, le ténor australien a toutes les notes du rôle, ce qui est déjà beaucoup, et il n’est pas avare de nuances, mais ce heldentenor est bien peu héroïque au premier acte. Ce n’est pas une question de diction, car on sent un louable effort pour articuler le français, même s’il y a encore des progrès à faire. Non, le problème est que le personnage n’existe pas : où est le Samson visionnaire et révolté ? où est l’exaltation du guerrier inspiré par Jéhovah ? Les choses s’arrangent à partir du deuxième acte, qui n’a pas les mêmes exigences en termes de caractérisation, et l’héroïsme tant attendu arrive au dernier tableau.
Autre protagoniste essentiel, le chœur, auquel Saint-Saëns a réservé un rôle prépondérant. Les membres du Chœur de l’Opéra national de Bordeaux relèvent le défi avec de belles couleurs et une présence indéniable ; seules manquent peut-être des consonnes plus franches dans les passages pianos, pour que le texte ne se perde pas. Et l’on apprécie que Paul Daniel empoigne sans hésiter une partition que d’autres prennent avec des pincettes, presque en se bouchant le nez. Sa direction insuffle une urgence dramatique à l’œuvre, et lave de tout soupçon de vulgarité lascive une Bacchanale survitaminée. Avec un engagement égal à celui de leur chef, les musiciens de l’Orchestre national Bordeaux Aquitaine respectent tout l’orientalisme de ce drame sacré où Saint-Saëns se montre d’une inspiration sans faille, mais qui s’accommode finalement fort bien de la version de concert, selon un parcours inverse aux oratorios de Haendel, conçus pour le concert et désormais de plus en plus souvent mis en scène.