A notre époque éprise de transposition contemporaine, que faire des sorcières de Macbeth ? Que peuvent-elles devenir dans notre univers ? Surtout, s’est demandé Ivo van Hove, que signifient aujourd’hui l’ambition et le désir du pouvoir ? Curieusement, le metteur en scène flamand a décidé que la politique n’était plus leur domaine, mais bien plutôt la finance. L’opéra de Verdi se trouve donc projeté dans le monde des boursicoteurs, et tout le drame se joue dans une sorte de salle des marchés, dont les employées rivées à leurs écrans, portables et autres tablettes sont en fait les sorcières. Pourtant, à part le moment où elles se déchaînent contre une malheureuse technicienne de surface presque constamment en scène, leur attitude n’a rien de bien redoutable. Et si Macbeth est un spéculateur, que devient donc le roi ? Une sorte de Bernard Madoff, peut-être, ou de patron du FMI. Mais alors, pourquoi l’assassiner à coups de couteau ? Dans ces milieux, on ne fait pas couler le sang : on ruine les gens, ou on les « tue » par quelque scandale bien croustillant. Au terme du banquet, les employés donnent leur démission au nouveau roi Macbeth et, alors qu’ils se gaussaient peu auparavant de ces inadaptés qu’étaient à leurs yeux les SDF, ils se transforment en Indignés du mouvement « Occupy Wall Street », menés par un Malcolm en tee-shirt et baskets – jusque-là, tout le monde arborait l’uniforme des employé(e)s de bureau – et ils finiront par s’installer dans la fameuse salle des marchés avec leurs pancartes et leurs banderoles, leurs guitares et leurs casseroles de soupe, dans une atmosphère bon enfant où Macbeth ne meurt pas mais est simplement le témoin impuissant de leur (éphèmère ?) triomphe. La sauce ne prend hélas pas tout à fait, et l’on en vient à se demander si Ivo van Howe n’a pas succombé à ce qui fut un temps le péché mignon de Peter Sellars : utiliser un opéra pour représenter des phénomènes du monde moderne avec lesquels ladite œuvre lyrique n’a qu’un lointain rapport (on pense notamment à un Rake’s Progress où Sellars avait choisi de dénoncer les abus du système pénitencier américain). Certains détails incongrus enrayent le mécanisme (que vient faire dans cet univers électronique la bougie allumée à l’avant-scène ?), des pistes sont ébauchées mais laissées en suspens (les Macbeth semblent avoir une fille adolescente qui joue à la sorcière montée sur un balai, qui dort sur un canapé dans la pièce où le roi Duncan est tué, et qui s’enfuit aussitôt après), et la présence de la femme de ménage africaine, témoin muet de la plupart des scènes, n’apporte pas grand-chose à l’action. L’usage de la vidéo est cependant parfaitement maîtrisé, avec de bonnes idées comme la projection sur les murs du décor de ce qui se passe hors-scène (les meurtres de Duncan et de Banquo) ou des différentes apparitions convoquées par les sorcières, personnages façonnés à partir de ces chiffres obsédants qui ne cessent de s’agiter sur les écrans.
La réalisation musicale laisse elle aussi un sentiment mitigé. Kazushi Ono donne parfois l’impression de brutaliser un peu la partition, sans toujours bien maîtriser ses troupes (les bassons notamment font des entrées trop sonores). Quant aux chanteurs, le premier acte laisse craindre le pire : chez Lady Macbeth, des aigus systématiquement pris par en-dessous et émis à l’arrachée, chez son époux un timbre un peu engorgé, qui a tendance à abuser du murmure, sans doute pour se ménager en perspective de ce qui l’attend par la suite. La voix de Iano Tamar finit néanmoins par se chauffer, et malgré certains passages périlleux, elle atteint sans difficulté apparente les notes les plus hautes, qu’on aurait d’abord cru hors de sa portée. La fougue de l’interprète convient au personnage, peut-être moins fielleux ici qu’on ne l’a connu dans d’autres productions. Même problème de sérieux retard à l’allumage pour Evez Abdulla, qui alterne le meilleur et le pire : lorsque l’interprète est obligé de se donner à fond, la voix se libère et sonne comme un baryton Verdi, non sans des intonations véristes ou nasales assez déplacées. Aux côtés de ce couple Macbeth originaire respectivement de Géorgie et d’Azerbaïdjan, c’est aussi de l’ancienne URSS que viennent les autres protagonistes du drame : Ukraine pour Dmytro Popov, Macduff au matériau vocal solide mais aux sonorités excessivement slaves (il sera pourtant bientôt Rodolphe de La Bohème à Covent Garden), Russie pour le Malcolm de Viktor Antipenko, ténor aux moyens nettement moins conséquents, Turkménistan pour Ruslan Rozyev, médecin parfaitement inintelligible, dont les gromellements rappellent le cuisinier suédois du Muppet Show. A ce cast auquel semblent avoir participé toutes les anciennes républiques soviétiques s’ajoutent pourtant la suivante britannique de Kathleen Wilkinson, dont on avait apprécié les interventions dans le Trittico en février dernier, et le Banco italien de Riccardo Zanellato, très à l’aise dans un rôle trop court. A défaut de convaincre pleinement, ce Macbeth vaut du moins à l’Opéra de Lyon le mérite d’ouvrir la saison du bicentenaire verdien, dont on espère, sans trop y croire, en ces temps de disette vocale, qu’il nous vaudra quand même quelques belles soirées.
Version recommandée :
Macbeth | Giuseppe Verdi par Maria Callas