L’orchestre du Concertgebouw, son directeur musical Daniele Gatti et Ivo van Hove, enfant du pays un temps pressenti pour prendre la tête de l’Opéra, à la mise en scène… cette Salome de fin de saison se voulait un des temps fort amstellodamois. Elle ne sera une demi-réussite au final pour diverses raisons.
En premier lieu, la prise de rôle de Malin Byström conduit la soprano dans ses retranchements : elle esquisse plus qu’elle ne chante les quelques graves de la partition et son aigu se détimbre s’il n’est pas émis en force. Reste un médium charnu et rond au service d’un portrait vocal en sensualité qui gagnerait encore s’il se doublait d’une prosodie plus acérée. Si le chant montre ses limites, l’incarnation scénique convainc tout à fait. Cette Salomé est adolescente, consciente de son corps et de l’attraction extrême qu’elle exerce sur les hommes.
Dans un décor minimaliste baigné de belles lumière, Ivo van Hove conduit la rencontre avec le Prophète vers un sommet de justesse où, de l’évitement initial, l’on aboutit à force de palabres à une étreinte. Si Jochanaan provoque cet enlassement sauvage c’est parce qu’il est pieux. La jeune fille n’écoute que ce corps puissant qui l’encercle, l’éveille au désir. Le ressort est bien remonté pour déclencher la suite : déception, vengeance et assouvissement du désir jusqu’à baigner dans le sang sacrificiel. Ce soin dans les placements, les gestes, les regards (Salomé ne considère jamais Narraboth et encore moins son cadavre) font de la proposition scénique un modèle de théâtre abouti. Dans ce contexte on ne comprend pas ces costumes modernes ou ces coups de fils que l’on vient passer à l’écart de la salle des banquets. La transposition temporelle ne fait pas sens non plus sauf à vouloir rapprocher la violence vengeresse et paroxystique des atrocités de notre époque. Présenter un moribond ensanglanté plutôt qu’une tête coupée n’a pas plus de signification. Pendant la danse, montrer Salomé fantasmant un pas de deux tribal avec Jochanaan par le truchement d’une vidéo suscite l’intérêt. Mais encombrer la scène de danseurs dans le même temps est à la limite du contresens. De concentré, étouffant et juste, le drame devient de plus en plus artificiel jusqu’à l’image finale : Salomé tenue en l’air comme crucifiée par ses bourreaux.
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Le reste de la distribution satisfait globalement aux exigences des rôles. En couple royal, tant Lance Ryan que Doris Soffel ont de la puissance à revendre, même s’il affichent des timbres de voix usés qu’ils savent couler dans les traits de leurs personnages : elle a les raucités du fauve blessé qui peut encore mordre, lui les nasalités du monarque veule. En Jochanaan, Evgeny Nikitin compense par la vaillance et le volume son manque de profondeur et d’humanité. Hanna Hipp (le Page) et Peter Sonn (Narraboth) brillent surtout dans la scène d’ouverture où leur phrasé épouse la lenteur moite qui s’installe à l’orchestre.
Car si un élément du spectacle ne souffre aucune critique, il s’agit de l’orchestre chatoyant du Concertgebouw, porté par une lecture tout en contrastes de Daniele Gatti. Langueur et couleurs installent des ambiances ouatées comme l’étrange lune qui brille en Judée. Attaques nerveuses, grincement et commentaires agacent ces moments, pour ainsi dire paisibles, et mettent en tension les scènes. Sitôt le rideau tombé, le public ne s’y trompe pas, se levant pour saluer avant tout l’orchestre et son chef.