Pour ce concert de l’Ensemble intercontemporain, Matthias Pintscher a eu la bonne idée de réunir des œuvres ayant pour point commun leur ancrage profond dans les arts plastiques. On ne s’étonne donc guerre de découvrir, au milieu de pièces plus récentes, la monolithique Rothko Chapel de Morton Feldman.
La pièce M, de Jay Schwartz s’inspire donc d’une statue de Markus Lüpertz placée à Salzbourg et représentant tout naturellement Mozart. Les clins d’œil se multiplient d’ailleurs au fur et à mesure de la partition, à commencer par un grand crescendo micropolyphonique sur un matériau tiré de l’ouverture des Noces de Figaro. L’entrée du baryton annonce un changement de couleur, puisque c’est avec des bribes de Requiem que nous poursuivons l’écoute (essentiellement Introitus et Lacrymosa). Evan Hughes sera la découverte vocale de la soirée. Le baryton américain membre de la troupe de l’Opéra de Dresde prouve la solidité de l’ensemble de sa tessiture, dévoilant un timbre brillant et coloré. Quelques passages où il se noie dans l’ensemble à l’instrumentation quasi saturante font regretter une discrète amplification ou une direction plus attentive de la part de Gregor Mayrhofer.
Avec beyond (a system of passing), Pintscher compose une grande pièce de bravoure pour flûte, admirablement interprétée par Sophie Cherrier. Si l’on avoue ne pas saisir le lien avec Anselm Kiefer dès la première écoute, on ne reste pas indifférent à ce catalogue à la fois poétique et innovant des techniques flûtistiques.
En basant sa dernière pièce sur un tableau d’Arnaldo Pomodoro, Gregor Mayrhofer (car il est aussi compositeur) invite l’auditeur à un voyage dans le monde industriel. Intitulée Große Huldigung an das technische Zeitalter (Grand hommage à l’âge industriel), la partition joue sur des effets de répétitions motoriques, évoquant de loin les fonderies déjà orchestrées par Mossolov. On en retient une forme et une instrumentation maitrisées, laissant apparaître de belles couleurs parmi les engrenages.
C’est à la fontaine Igor Stravinsky que s’intéressa Benjamin Attahir pour la composition de Et nous tournions autour de ces fontaines hallucinées. Par ses solos de violons dans le suraigu, la partition commence par intriguer. Ensuite, la citation de la Danse sacrale fait sourire. Mais l’intérêt s’arrêtera là, puisque le reste de la pièce n’apporte pas de développement substantiel du matériau, ni de véritable surprise venant casser le systématisme de la forme.
Inutile de mentionner la source d’inspiration de la Rothko Chapel de Morton Feldman. Conçue pour être jouée à l’intérieur de cet édifice, le compositeur voyait en cette œuvre une résonance du lieu et des peintures de Rothko plutôt qu’une véritable mise en musique. La question qui se pose est donc de savoir si une interprétation en dehors de ce contexte n’enlève pas tout l’intérêt de la performance. Allons plus loin et affirmons que l’œuvre de Feldman ne peut pas se dispenser de la présence écrasante des tableaux du peintre américain pour justifier sa pertinence. Privés de Rothko, le style nous apparaît plus dépouillé que jamais, contraignant l’auditoire à une méditation forcée sur une poignée de notes égarées dans cet honnête auditorium de la Cité de la musique.
Les interventions de l’ensemble Les Cris de Paris sont homogènes, même si l’intonation des attaques est parfois un peu en peine. Les solos d’Adèle Carlier sont un peu secs, ceci étant encore probablement dû à la pauvreté de la ligne vocale de ces interventions, où les notes se comptent sur les doigts de deux mains. L’alto de John Stulz apporte par des solos à la sincérité touchante des bribes d’humanité au milieu de ce paysage lunaire. Gregor Mayrhofer dirige la pièce avec la même précision implacable que pour les autres œuvres de la soirée.
Coup d’essai donc pour cette Rothko Chapel. Elle montre peut-être que certaines œuvres sont indissociables de leur contexte d’écriture, et perdent un aspect symbolique primordial lorsqu’on leur retire cet arrière-plan. Car privée de ses tableaux, la Chapel est aussitôt déconsacrée.