Créé en janvier 2013, coproduit avec Tours, Avignon et à Massy, ce Roméo et Juliette arrive finalement dans le théâtre que dirige celui qui en a assuré la mise en scène (en attendant une dernière étape à Reims le mois prochain). Pour affronter ce mythe théâtral qu’est la pièce de Shakespeare, même dans la version Barbier et Carré qu’il avait déjà monté à l’Opéra de Nice en 2002, Paul-Emile Fourny propose une lecture qui n’a jusqu’ici guère convaincu nos collègues. Elle s’appuie sur quelques éléments récurrents mais pas forcément très explicites, à commencer par l’image du cerf. Emmanuelle Favre a conçu pour l’intérieur des Capulet un décor élégant, qui rappelle le cabinet de curiosité où démarrait la Fairy Queen de Glyndebourne vue ensuite à l’Opéra-Comique : trois murs occupés par des étagères où les trophées de chasse voisinent curieusement avec d’épais volumes reliés. Un grand escalier en colimaçon, légèrement décentré, encombre la scène pendant toute la première moitié de la soirée, même s’il ne sert vraiment que pour la scène du balcon. Le cerf revient lors du mariage des deux héros (l’animal vu par saint Hubert, avec sa croix entre les andouillers, apparaît en surimpression sur le rideau), puis à nouveau au quatrième acte, où il trône, entier, sur le toit de la chambre de Juliette, et où des crânes et des bois encadrent le lit de la jeune fille. Les amoureux éternels, bêtes traquées par une société hostile ? Soit. Les costumes de Dominique Burté tentent aussi d’opposer deux camps : les austères Capulet, uniformément vêtus de grands cache-poussières 1900 dans des teintes allant du beige au gris, et les Montaigu presque marginaux, dans leurs tenues colorées et un peu seventies. Hélas, ils enferment Juliette dans des robes peu attrayantes (heureusement, on a vite renoncé, après Tours, à la perruque rousse avec front épilé), et Roméo n’est pas vraiment gâté non plus. Par-delà ces bizarreries, c’est surtout la jeunesse des personnages qui fait défaut ici, mais cela tient peut-être aussi à leurs interprètes.
© Arnaud Hussenot – Metz Métropole
Florian Laconi a pour lui une diction d’une parfaite clarté et une voix séduisante, mais il lui manque la légèreté de Roméo : il privilégie la vaillance au détriment de la sensibilité du jeune homme. Par ailleurs, cette conception toute en force semble parfois lui faire perdre de vue la justesse, avec des ports de voix presque systématiques et quelques aigus un peu bas en fin de phrase. Kimy McLaren possède, elle, un timbre pulpeux et étonnamment mûr pour une Juliette dont elle a, par ailleurs, toute la juvénilité scénique. De toute évidence, l’ampleur dramatique de l’air du poison lui est beaucoup plus naturelle que le gazouillis de la valse, et son entrée n’est pas exempte d’une certaine dureté dans l’extrême aigu. Malgré les qualités réelles de ces deux protagonistes, nous sommes donc loin des enfants qui s’aiment.
Autour d’eux, Guillaume Andrieux offre un Mercutio exemplaire, bondissant et vif, et Jérôme Varnier un Frère Laurent à cent lieues des vieux moines chevrotants. Avec une voix encore sonore mais perceptiblement fatiguée, Marcel Vanaud montre en Capulet qu’il n’est pas forcément souhaitable d’avoir l’âge du rôle qu’on interprète. Carine Séchaye chante bien le peu qu’elle a à chanter, mais il est permis de se demander s’il ne serait pas souhaitable de revenir à la volonté du compositeur, pour qui Stephano (comme Siebel) était destiné à une soprano et non à une mezzo. Marc Larcher est un Tybalt énergique mais souvent un peu vert.
Les deux chœurs réunis pour l’occasion impressionnent par leur puissance, dès le prologue en forme d’hommage à Berlioz. A la tête de l’Orchestre national de Lorraine, Jacques Mercier semble avant tout soucieux d’efficacité théâtrale et dirige avec vigueur, optant lui aussi pour le dynamisme plus que pour l’émotion et ne ralentissant parfois que pour ménager, peut-être, certains interprètes qu’un rythme trop rapide pourrait mettre en difficulté. Roméo et Juliette n’est pourtant pas qu’une chasse à courre, et l’on aimerait aussi y entendre les émois du cerf amoureux.