Après quelques mois de rôles aussi lourds que ceux de Turandot, de La Navarraise ou du Cid, et avant de s’attaquer enfin à Andrea Chénier, le retour de Roberto Alagna au belcanto romantique pouvait laisser perplexe. Pari à moitié gagné pour le ténor français qui fait montre d’une étonnante jeunesse dans ce rôle qu’il n’avait pas chanté depuis près de 15 ans. La voix, devenue plus sonore, a néanmoins gardé toute sa souplesse et les vocalises sont exécutées sans une trace d’application laborieuse. Très à l’aise, le chanteur s’amuse à quelques fantaisies musicales, comme terminer ses « Tra-la-la » sur la musique d’« O sole mio » ou en accentuant les syncopes dans le final de l’acte I (un effet bien venu et particulièrement réussi). Malgré une palette un peu terne, le ténor maîtrise l’art de la coloration, indispensable dans ce répertoire, et nuance avec intelligence (c’est un des rares artistes que l’on « entend » sourire les yeux fermés). On reproche parfois à Roberto Alagna une tenue de scène un peu empotée: il n’en est rien ce soir et son Nemorino, est d’un comique juste, sans caricature, et d’une aisance scénique parfaite. « Una furtiva lagrima » montre néanmoins ses limites actuelles dans ce répertoire : les premières notes manquent de justesse, la reprise (sans les ornementations de la version de Paris, qu’il avait lui-même ressuscitée) ne convainc pas en termes de maîtrise du registre mixte. Surtout, le morceau ne suscite guère d’émotion. Plus généralement, le belcanto, c’est aussi une certaine prise de risque, or le ténor, avare de suraigu ce soir là, ne se met jamais en danger. Cela peut satisfaire le public local, mais c’est une relative déception pour ceux qui viennent de plus loin !
On pourrait faire le même reproche à Aleksandra Kurzak : charmante, espiègle, musicale, mais couverte dans les ensembles, sans suraigus spectaculaires ni timbre très caractérisé. Le Dulcamara d’Ambrogio Maestri est maintenant bien connu. Par rapport à ses prestations parisiennes, la voix du chanteur a gagné en ampleur et en souffle, mais l’artiste manque de vis comica, contrairement à des chanteurs-acteurs naturellement truculents comme Bacquier ou Dara. Fabio Capitanucci campe un Belcore pour une fois sympathique, sans caricature, dragueur mais sans méchanceté (le livret lui fait pourtant traiter Nemorino de « babouin »). Le timbre est riche, la voix bien timbrée, mais il manque encore un peu de projection. Susana Gaspar est une Giannetta trop discrète scéniquement et vocalement.
Bruno Campanella dirige efficacement un orchestre en bonne forme. Est-ce un effet de la première, on doit néanmoins regretter certains décalages avec le plateau, notamment quand le chef s’emballe dans un accelerando, laissant sur place les chanteurs !
Par rapport à sa création parisienne, la production de Laurent Pelly subit quelques modifications mineures : exit, par exemple, les avances obscènes de Dulcamara dans son duo avec Adina (ce n’est pas plus mal) ; les jeunes actrices qui jouent les midinettes sont en revanche moins bien typées ; mais globalement, le plateau est très bien rodé, chacun, chœurs compris, tenant parfaitement sa partie comme si le spectacle se jouait depuis des semaines. Seule réserve majeure, le giocoso l’emporte largement sur le melodramma.
Version recommandée :
Donizetti: L’Elisir d’amore | Donizetti Gaetano par Interprètes Divers