Des trois opéras proposés cette année par le Festival de Saint-Céré*, le choix d’Eugène Onéguine apparaît comme le plus risqué. En effet, comment faire apprécier à un public très divers une oeuvre aussi complexe et intimiste sans surtitres et surtout, comment servir l’orchestration savante de Tchaïkovski avec un effectif réduit à une vingtaine de musiciens ? Les a priori négatifs promettent une soirée pour le moins maussade mais, c’est bien connu, ce sont souvent les rendez-vous où l’on se rend à reculons qui réservent les meilleures surprises.
Dès les premières mesures, les appréhensions s’envolent : l’orchestre restitue pleinement l’atmosphère ample et la confusion des sentiments sous la direction inspirée de Dominique Trottein. Seules souffrent la valse et la polonaise trop étriquées dans leur envolée.
La mise en scène d’Éric Perez, très sobre, rehaussée par des costumes superbes, se distingue par quelques belles idées. Par exemple, Tatiana rédige sa lettre au feutre sur les murs blancs de sa chambre, chaque panneau servant de nouveau brouillon mais les mots forment un tout indélébile et funeste qui évoque un futur mur des lamentations. Les décalages entre le texte écrit et chanté enrichissent encore, pour ceux qui lisent le russe, l’effet marquant de ce procédé, exercice sans doute éprouvant pour Ekaterina Godovanets qui donne là son meilleur : élégance du chant, délicatesse du timbre et puissance de la projection, même de dos quand elle écrit… la soprano incarne d’ailleurs une remarquable Tatiana dont elle sait traduire l’évolution : de la jeune paysanne romantique à la grande dame mûre et déterminée. Las ! Face à elle, Serguei Stilmachenko ne fait pas le poids. Falot, hagard quand il devrait diffuser un dédaigneux ennui, on est atterré de disposer d’un Onéguine aux abonnés absents. Chaque apparition de Lenski, en revanche, est un enchantement. Beau, jeune, romantique et pur, on se pâme devant Svetislav Stojanovic… Inutile de dire que sa voix est à l’avenant ; son départ prématuré en devient proprement intolérable. Que de progrès depuis le Requiem de Verdi au même endroit l’année passée(cf. notre compte-rendu) ! Karine Motyka propose une Olga presque trop mature pour le rôle. Hermine Huguenel rayonne en Larina. A noter sa très bonne prononciation du russe, qualité qu’elle partage d’ailleurs avec l’ensemble des chanteurs français. En Triquet, Éric Vignau sait ne pas être trop caricatural et Jean-Claude Sarragosse se tire avec noblesse du sublime air d’amour de Grémine.
Pour mieux s’en rendre compte, on peut écouter pendant quelques semaines des extraits de cet Eugène Onéguine sur France Musique**.
* Voir les comptes rendus de Rigoletto et du Roi Carotte
** Deux émissions ont été enregistrées en direct de Saint-Céré : http://sites.radiofrance.fr/francemusique/em/magazine-des-festivals/emission.php?e_id=80000047&d_id=425003373 et http://sites.radiofrance.fr/francemusique/em/magazine-des-festivals/emission.php?e_id=80000047&d_id=425003374