En cette saison du 125ème anniversaire, le Met reprend la production d’Otto Schenk montée pour Luciano Pavarotti, Leo Nucci et June Anderson en 1989. Aucun doute possible dès que le rideau se lève : on bien est au Lincoln Center. Le premier acte s’ouvre dans la cour d’un palais Renaissance richement décoré ; le décor du second tableau ressemble à une crèche provençale avec ses ruelles étroites et ses murets en pierre ; le troisième acte, avec la maison de Sparafucile au bord d’une rivière fait curieusement penser… à la production précédente. Le décor constitue au fond un simple écrin pour les grandes voix que l’on vient chercher ici et que l’on trouve en général. On imagine que les spectateurs devaient, au moment de la création de cette nouvelle production, être ravis. Il en va différemment aujourd’hui, à cause de la distribution justement.
La distribution fait la part belle aux chanteurs d’Europe orientale. Le rôle titre est assuré par le baryton georgien George Gagnidze, qui effectue ses débuts au Met. Formé pour l’essentiel dans les troupes de théâtres allemands (Francfort, Weimar…) où il a rodé le grand répertoire verdien, ce grand gaillard est un Rigoletto crédible, très à l’aise sur scène. Et mieux vaut ne pas le regarder de trop près – aux jumelles – rouler les yeux de colère pendant son « Cortigiani… » : il est tout simplement effrayant. Vocalement, sa voix fait penser à celle de Tito Gobbi, ce qui n’est pas nécessairement une critique, mais n’emporte pas la conviction dans l’aigu : la voix bascule curieusement et systématiquement vers l’arrière au-dessus du mi et perd harmoniques et projection. A 39 ans, c’est plutôt préoccupant pour la suite.
Sa Gilda est la soprano polonaise Aleksandra Kurzak, dont la carrière a pris son envol depuis l’été 2007, lorsqu’elle a quitté la troupe de l’opéra de Hambourg. Sa voix, sans grand caractère, convient à Gilda, dont elle dresse un portrait sans aspérités. Toutefois, tous ses suraigus sont blancs et l’accident arrive à la fin du duo de la vengeance, avec un aigu difficile, tendu et court. Une prestation bien pâle au total.
Son compatriote Piotr Beczala relève quelque peu la soirée, pour un unique Duc, qu’il l’avait déjà incarné dans cette production il y a trois ans, et dans lequel il remporte un beau succès public. Le ténor, qui chante actuellement Lenski au Met, incarne un duc juvénile, insolent et convaincant. Vocalement, le timbre est toujours aussi beau et naturel, en particulier dans le haut medium. Mais Beczala ne ménage guère son instrument et son agenda ne compte pas moins d’une trentaine de représentations sur le premier semestre 2009 (avec en mai, une prise de rôle à Madrid dans la Damnation de Faust). Il faudra surveiller comment sa voix résistera à un tel régime. Les aigus nous ont paru tendus et manquant de rondeur, la voix se rétrécissant nettement, au lieu de s’élargir et de s’épanouir. A surveiller, donc.
Le reste de la distribution, venant également d’Europe de l’est pour l’essentiel, est honnête, avec un Sparafucile russe et sonore, habitué du Met (Mikhail Petrenko) et une Maddalena hongroise (Viktoria Vizin), dont on ne comprend pas un traître mot. C’est aussi la critique principale que l’on peut formuler à l’encontre du Monterone de Keith Miller, ce qui est tout de même assez gênant lors qu’il s’agit de maudire le pauvre Rigoletto.
Riccardo Frizza faisait, lui aussi ses débuts au Met dans Rigoletto (il y reviendra la saison prochaine pour Armida de Rossini). Sa direction est au diapason du décor, classique et sans surprise.