Difficile de ne pas reconnaître qu’on attendait cette nouvelle production de Rigoletto – dernier spectacle de la saison 2013-2014 – avec un peu d’appréhension. La tempête que traverse l’Opéra de Rome depuis la série de grèves qui ont perturbé la saison et le départ fracassant de Riccardo Muti, jusqu’au licenciement collectif de plus de 180 musiciens du chœur et de l’orchestre ont amené l’institution au bord du gouffre. Elle n’est d’ailleurs pas encore sûre de ne pas y tomber tant sa situation est grave et même si l’heure semble être à un apaisement précaire.
Difficile par ailleurs de laisser ce contexte de côté alors que les musiciens manifestent un peu avant la première, que le chef, Renato Palumbo, prend la parole après l’entracte pour remercier l’orchestre, que le public, quelques jours après, applaudit les artistes avant qu’ils ne quittent la fosse à l’entracte. Pensez-y et parlez-en toujours semble être la règle et on peut la comprendre.
Cet orchestre, amené par un chef expérimenté plein d’autorité, soucieux des détails et des contrastes se montre ce 23 octobre sous un jour tout à fait remarquable, avec notamment d’excellents pupitres de vents, parfaitement en place. Comme s’il voulait démontrer qu’il avait acquis, ces dernières années, une grande cohésion, l’ensemble s’avère néanmoins parfois un peu trop bruyant et couvre çà et là les voix, ce que l’enthousiasme du chef ne réfrène pas toujours assez, comme dans le quatuor du dernier acte, lorsqu’il laisse la tempête submerger le plateau.
Si l’exubérance est quelquefois dans la fosse, on ne peut pas dire qu’elle se voie sur le plateau. Le metteur en scène, Leo Muscato, a choisi de situer l’œuvre au XXe siècle et de délimiter les différents espaces par des rideaux, généralement assez hideux et sur lesquels la lumière, parfois crue, crée une atmosphère glauque. L’exception se situe à l’intérieur du palais, où l’alcôve du duc, autour de laquelle tournent les courtisans en frac et affublés de petits masques de cochon, est comme il se doit un carré de rideaux rouges et or flamboyant. Il y a d’ailleurs bien peu d’idées dans ce travail scénique, qui fait largement reposer l’intrigue sur les dons d’acteur des interprètes, qui font de leur mieux. On sourit un peu lorsque la pauvre Gilda est contrainte de frapper le sol avec sa chaussure faute de pouvoir le faire sur la porte de tulle de Sparafucile… Ce dernier est d’ailleurs présenté comme l’un des nombreux serviteurs du duc, qui observe les courtisans et le bouffon bossu, et on se demande donc comment il ne reconnaîtrait pas son maître dans son auberge rouge.
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Les chanteurs doivent donc beaucoup compter sur eux-mêmes. A ce jeu-là, comme à celui de la voix, d’ailleurs, c’est le duc du ténor Piero Pretti qui l’emporte. Souverain juvénile et très crédible, il déploie un timbre lumineux et très élégant, particulièrement agréable à écouter tout en se montrant impressionnant. Il ne fait qu’une bouchée de ses différents airs et tient insolemment la note à la fin de « La donna è mobile ». Triomphe assuré.
Giovanni Meoni compose un Rigoletto un rien torturé, hésitant et même faible, dont on perçoit davantage la peur que la colère, même lorsqu’il demande vengeance. Ce faisant, il donne une grande humanité à son personnage, dont il fait ressortir tout le côté malheureux sans l’exagérer. Ces contrastes se retrouvent dans son chant, savamment dosé mais qui manque parfois de projection, notamment dans le bas registre, alors qu’il est très à l’aise dans l’aigu.
Il est bien difficile d’édulcorer la naïveté consternante de Gilda. C’est peu dire qu’ Ekaterina Sadovnikova n’essaie même pas et fait de son personnage une sorte de midinette écervelée, non sans une certaine gaucherie dans le jeu. Son soprano, assez léger, conforte cette dimension même si elle manque quelque peu de projection et que l’on craint souvent l’accident tant l’équilibre semble fragile. Pourtant, on assiste à quelques moments de grâce, dont un « Caro nome » absolument remarquable.
Goran Juric, avec ses airs de Raspoutine un rien sadique, est un Sparafucile terrifiant à la basse sonore et profonde, d’une grande crédibilité de bout en bout ; tout comme la Maddalena d’Alisa Kolosova.
Monterone très correct d’Italo Proferisce. Le reste de la distribution va du très convenable (le Marullo de Marco Camastra) au médiocre (le Ceprano presqu’inaudible de Leo Paul Chiarot)
Comme l’orchestre et pour les mêmes raisons, le chœur, bien préparé comme à l’accoutumée par Roberto Gabbiani, reçoit de vifs applaudissements mérités au rideau – si on ose dire – final.
Encore un spectacle qui donne plus à entendre qu’à voir. On ne s’en plaindra toutefois pas pourvu que vive encore l’Opéra de Rome !