Huit ans après la production de Michael Mayer qui situait l’action de Rigoletto à Las Vegas dans les années soixante, le Metropolitan Opera a affiché à partir du 31 décembre une nouvelle mise en scène de l’œuvre de Verdi confiée à Bartlett Sher et coproduite par le Staatsoper de Berlin où elle fut donnée en 2019. C’est la dernière représentation de la série que les cinémas ont retransmis ce 29 janvier.
Bartlett Sher situe cette fois l’intrigue à Berlin au temps de la République de Weimar ce que laisse deviner le rideau de scène inspiré d’un tableau de George Grosz car, hormis les robes luxueuses des femmes lors de la fête chez le Duc, rien le laisse deviner l’époque où se déroule l’action et encore moins le lieu, ces précisions nous ayant été données par Isabel Leonard qui présentait la soirée.
Le dispositif scénique imaginé par Michael Yeargan est à la fois grandiose et ingénieux. La demeure du Duc est un somptueux palais aux parois de marbre rouge et au plafond en vitrail soutenu par des colonnes dorées, la maison de Rigoletto est constituée de deux étages ornés de balcons. Ces deux bâtiments sont placés sur une tournette qui permet de passer sans interruption d’un lieu à l’autre au cours du premier acte.
Rigoletto Acte un © Ken Howard
L’auberge du dernier tableau est modeste et fonctionnelle. Elle comporte un étage avec une chambre et un lit.
La direction d’acteurs est extrêmement sobre avec peu de contact entre les protagonistes. Certains partis pris peuvent surprendre comme le fait que c’est Gilda qui donne à Sparafucile le couteau avec lequel il va la tuer.
La distribution, comme toujours au Met, ne comporte aucun point faible, les personnages secondaires sont parfaitement incarnés par des artistes possédant la voix et le physique du rôle. Signalons l’élégante Comtesse Ceprano de Sylvia d’Eramo et le Marullo particulièrement sonore de Jeongcheol Cha. Les deux interventions du Monterone vindicatif et halluciné de Craig Colclough frappent durablement les esprits. Varduhi Abrahamyan possède un timbre cuivré et homogène, sa Maddalena n’est pas dépourvue de sensualité. Andrea Mastroni est un Sparafucile juvénile à la silhouette inquiétante, s’il possède une voix claire il n’en dispose pas moins d’un fa grave sonore et longuement tenu à la fin de sa scène de l’acte un avec Rigoletto. Rosa Feola reprend le rôle de ses débuts au Met en 2019 et nous offre une Gilda de haute volée. Elle fait de son personnage une jeune fille audacieuse et déterminée qui se bat avec ses ravisseurs avant de se laisser emmener. Loin des sopranos coloratures au medium inconsistant que l’on entend parfois dans ce rôle, la cantatrice italienne dispose d’une voix solide et d’un aigu rond et facile comme en témoigne son contre-ré à la fin du duo avec le Duc. Son « Caro nome » chanté d’une manière exquise et délicate, sans suraigu ostentatoire, est particulièrement touchant tout comme son « Tutte le feste » au legato soigné. Sa scène finale sobre et poignante lui vaut un triomphe largement mérité au salut final. Piotr Beczala avait incarné le rôle du Duc de Mantoue en 2006, dans la production d’Otto Schenk pour ses débuts au Met. En 2013, il a inauguré la production de Michael Mayer qui a fait l’objet d’un DVD et le voilà à nouveau au sein de cette nouvelle production. Il faut dire qu’il possède les moyens exacts du rôle et que le temps ne semble pas avoir de prise sur lui tant sur le plan physique que vocal. La voix, en effet, ne donne aucun signe d’usure, elle a au contraire gagné en épaisseur dans le medium, l’aigu, émis sans difficulté, est toujours aussi solaire et la ligne de chant toujours aussi soignée. Sur le plateau, le ténor polonais incarne un Duc séducteur et fêtard avec davantage d’implication théâtrale que par le passé. Signalons que sa cabalette « possente amor mi chiama » est doublée, avec quelques menues variations bienvenues dans la reprise.
Enfin Quinn Kelsey aborde le rôle-titre sur la scène du Met après l’avoir beaucoup chanté sur les scènes internationales, notamment à Paris. Vêtu d’un pantalon rayé, d’un chapeau haut de forme et d’une fraise noire autour du cou, il ressemble à la fois à un clown et à un bourgeois grotesque issu du tableau de Grosz qui sert de toile de fond. Le timbre est homogène et si la voix manque quelque peu de mordant dans les scènes dramatiques (« Si, vendetta »), le baryton se montre tout à fait émouvant dans les duos avec Gilda et poignant dans la scène finale. Scéniquement, sa prestation est tout à fait remarquable.
Les chœurs comme à l’accoutumée sont superlatifs. Au pupitre Daniele Rustoni propose une direction élégante et contrastée. Il se plait à ralentir le tempo dans les duos élégiaques qu’il accompagne avec délicatesse et à l’accélérer dans les scènes dramatiquement théâtrales comme la fin de l’acte deux afin d‘obtenir un effet saisissant mais jamais trivial.
Le 12 mars 2022 le Metropolitan Opera retransmettra dans les cinémas du réseau Pathé Live, Ariane à Naxos, sous la direction de Marek Janowski.