Jules MASSENET (1842-1912)
CENDRILLON
Conte de fées en quatre actes et six tableaux
Livrey d’Henro Cain, d’après le conte de Perrault
Production de l’Opéra de Montréal
Mise en scène et chorégraphie, Renaud Doucet
Assistant à la mise en scène, Alain Gauthier
Décors et costumes, André Barbe
Pour l’Opéra National du Rhin,
Coproduits avec le Staatstheater de Karlsruhe
Lumières, Guy Simard
Cendrillon : Julie Boulianne
Madame de la Haltière : Marie-Ange Todorovitch
La Fée : Liliana faraon
Noémie : Julie Mossay
Dorothée : Diana Axentii
Le Prince Charmant : Frédéric Antoun
Pandolfe : François Le Roux
Le Roi : Christophe Fel
Le surintendant des plaisirs : Patrick Delcour
Le Premier ministre / François Castel
Le Doyen de la Faculté : Jean-Michel Muscat
La voix du héraut : Jacques Labauve
Chœur de l’Opéra de Marseille
Chef du chœur, Pierre Iodice
Orchestre de l’Opéra de Marseille
Direction musicale, Cyril Diederich
Marseille, le 27 décembre 2009
Revue et modernisée
Pourquoi Cendrillon de Jules Massenet, cet opéra délicieux, musicalement parlant, est-il si peu jouée ? Le succès qu’il remporte à Marseille tient probablement à la version scénique choisie, qui transpose le conte dans les années 1960. Même si l’on peut discuter certains choix et l’optique de music-hall qui sacrifie le charme si bien rendu dans la vision de Robert Carsen et Michael Levine, force est d’admettre qu’après tout l’œuvre est respectée et que le spectacle ravit le public.
Quatre décors successifs signés André Barbe : d’abord le salon de Madame de La Haltière, en fait une cuisine où des éléments géants – cuisinière, réfrigérateur, etc – cernent et dominent les humains, représentation probable du monde urbain déshumanisé où Pandolfe regrette de s’être fourvoyé avec sa fille ; puis le palais royal, qui ressemble à s’y méprendre à une boîte de nuit ; l’arbre aux fées ensuite, sous lequel la marraine de Cendrillon au volant d’une voiture américaine décapotable elle aussi géante, distrait sa suite en lui projetant des reportages d’actualités ; enfin la ferme devenue le refuge de Cendrillon, évoquée par Pandolfe comme une thébaïde et manifestement cernée par des lotissements pavillonnaires, vision qui rend caduque toute nostalgie. Les costumes, eux aussi signés André Barbe, ont des formes et des couleurs adaptées aux tempéraments des personnages, quand ils ne sont pas des versions paroxystiques de tenues de fonction, comme pour le roi ou le doyen de la faculté de médecine. Quant aux couleurs, justement, souvent vives et acidulées, elles évoquent le « style Barbie ». Tout cela est très cohérent. La fée et sa suite, Cendrillon et le Prince charmant sont les seuls à échapper au kitsch ambiant.
La mise en scène de Renaud Doucet, tout en étant au diapason dans le traitement des scènes animées (l’effervescence de l’acte I, créée par la tension qui accompagne Madame de La Haltière, ou le divertissement de l’acte II, avec les « épreuves de qualification » des prétendantes à la couronne) traite joliment les scènes d’effusion, comme les duos respectifs de Cendrillon avec son père ou avec le prince. On a ainsi un juste équilibre entre actualisation tirant vers le déjanté et intemporalité des sentiments. Les trouvailles chorégraphiques n’ont rien de très marquant mais animent habilement le défilé des fournisseurs, l’intervention de la fée avant le bal et le bal lui-même.
Belle cohérence aussi que celle d’un plateau sans faute, où se distinguent les premiers rôles. Liliana Faraon surprend agréablement ; on la savait douée d’agilité mais la voix s’est arrondie de belle manière et n’a plus rien de la ténuité de nos souvenirs. Elle évolue avec grâce et compose une fée de premier plan. Marie-Ange Todorovitch, en revanche, ne surprend pas : elle est la grande professionnelle qui compose avec gourmandise son personnage de virago, et malgré une laryngite mal guérie elle survole comme en se jouant un rôle bien adapté à sa tessiture. Belle découverte enfin que Julie Boulianne, dont la voix très longue colore les nuances du rôle et en restitue l’impact émotionnel sans surcharge aucune. Définie comme mezzo-soprano, elle a des aigus très beaux et très faciles. A suivre !
Le rôle du Prince, compte tenu du public particulier des périodes de fête, est chanté par un ténor alors qu’il a été écrit pour voix de mezzo. Ce choix laissait perplexe, d’autant que les échos de la grande Martine Dupuy ou de Marie-Ange Todorovitch résonnent encore. Frédéric Antoun relève le défi et chante avec goût, comme naguère dans Hippolyte et Aricie. Il forme avec Julie Boulianne un couple bien accordé et séduisant. Rendons hommage enfin à François Le Roux, en pleine forme vocale, dont la musicalité et la qualité de la diction sont des exemples à admirer et à suivre.
L’ensemble des seconds rôles est à féliciter également. Quelques flottements en revanche pour le chœur en ce qui concerne la cohésion des attaques. Dans la fosse, Cyril Diederich, envers et contre son goût pour les ampleurs sonores, maintient et obtient de bout en bout – hormis peut-être pendant le divertissement de l’acte II – un dosage et un équilibre qui rendent justice aux divers climats de la partition, permettant ainsi à ceux qui la découvrent de l’apprécier dans de bonnes conditions. C’est peut-être, au-delà des satisfactions diverses qu’on peut tirer de ce spectacle, l’essentiel à retenir : la révélation pour beaucoup, grâce à cette programmation sortant heureusement des ornières, d’un bijou trop méconnu.
Maurice Salles