La musique de Verdi était, selon le philosophe Hippolyte Taine, celle d’un homme en colère. Nul mieux que le « Dies Irae » du Requiem pour illustrer son propos. A Parme, sur la scène du Teatro Regio où s’entassent artistes du chœur, solistes et orchestre au grand complet, le numéro le plus orageux de la messe des morts verdienne voit Michèle Mariotti brandir, péremptoire, la foudre orchestrale et semer le vent choral pour récolter la tempête musicale. La torsion exercée dans cette page furieuse, à laquelle le Requiem doit sa popularité, se relâche par la suite pour finalement aboutir à une interprétation cyclothymique, parfois atone, parfois confuse, parfois inspirée, finalement déroutante, à l’exemple d’un « Kyrie Eleison » introductif si recueilli qu’il faut tendre l’oreille pour en saisir les premières notes. Perturbé par un malaise dans le rang des sopranos en cours de concert, le chœur perd la mesure. Le basson patine dans le « Quid sum miser ». Quelques séances de répétitions supplémentaires n’auraient pas forcément été superflues (il s’agit de la seconde exécution dans le cadre de l’édition 2022 du Festival Verdi).
© Roberto Ricci
De l’équilibre entre les quatre solistes dépend la solidité de l’édifice sonore érigé par le chef d’orchestre, écrivions-nous à propos de la même œuvre dirigée par Daniele Gatti au Théâtre des Champs-Elysées en février dernier. Là se trouve aussi la raison de l’impression mitigée laissée par cette proposition parmesane. Comme à Paris, Riccardo Zanellato pèche par défaut d’autorité. Ses « Mors » sont moins une condamnation irréfutable qu’un aveu d’impuissance. Stefan Pop ténorise un « Ingemisco » enguirlandé de sons suaves et de ports de voix comme s’il s’agissait d’une aubade amoureuse – à l’intention du chef sur lequel son regard reste rivé ? Il faut la douceur de l’attaque dans le « Hostias » pour toucher – enfin – au divin. Varduhi Abramhamyan n’est jamais aussi expressive que rejointe par Marina Rebeka le temps d’un « Recordare » si belcantiste dans le dosage de ses effets qu’on le croirait échappé d’une partition de Rossini. Car la soprano lettone capte l’essentiel de la lumière – c’est là son moindre défaut. S’affirment une fois encore la musicalité, le legato, le souffle, la pureté de l’émission, l’éventail des nuances, la précision de l’aigu, la délicatesse des piani, et au-delà de la technique imparable : la présence, comme si l’œuvre l’aspirait. Une évidence, une force de conviction avec pour seules limites les psalmodies du « Libera me », trop graves pour une voix pourtant large ; mais un élan irrépressible que l’on appelle la foi.