En réunissant sur la scène du Théâtre des Champs Elysées Leo Nucci, un des derniers monstres sacrés de l’art lyrique, et Patrizia Ciofi, une des cantatrices préférées des français, connue du grand public notamment grâce à ses nombreuses participations aux Chorégies d’Orange, les Grandes Voix n’ont pas raté leur rentrée.
Certes, avec de tels pédigrées, la prise de risque était limitée, mais pas nulle : Leo Nucci va tout de même sur ses soixante et onze printemps et l’on sait Patrizia Ciofi, toujours touchante, mais de forme vocale parfois inconstante.
Dès les premières notes de Lucia di Lamermoor nous sommes totalement rassuré. La voix de la rousse italienne sonne pleine et bien projetée, le medium est chaleureux, d’une douceur comme duveteuse. La technique ne fait pas défaut : dans « Quando rapito in estasi », les vocalises sont d’une grande fluidité et les trilles parfaitement exécutés. Mais plus que par l’aspect purement vocal, c’est par son chant habité que la soprane nous captive : on sent qu’elle a mûri ce rôle, faisant partager par ses gestes et ses inflexions les émois de la fragile héroïne. La silhouette même, frêle et sobrement parée d’une tunique pantalon, participe à cette incarnation.
Leo Nucci débute la soirée dans son rôle fétiche, Rigoletto, qu’il a chanté sur toutes les scènes du monde (et pas plus tard que l’an passé à Orange avec déjà Patrizia Ciofi). La voix est étonnamment préservée, stable, sans vibrato marqué. Bien sûr le timbre est quelque peu émacié, le souffle se dérobe parfois, mais quelle sûreté et tenue des aigus ! Si les « dannazione » de son premier air (« Pari siamo ») manquent un peu de hargne, le mordant est vite retrouvé lorsqu’il s’agit d’agonir les courtisans (« Cortigiani ! ») ou de jurer vengeance (« Si, vendetta »). Le public réclame d’ailleurs avant l’entracte un bis de ce dernier duo. Il sera exaucé, mais plus tard, à la fin du concert, avec un bis et même un tris du même air. Leo Nucci en vieux routier de l’art lyrique en profite pour mettre la salle en transe en tenant son aigu final plus que de raison.
Face à une telle bête de scène, la Gilda de Patrizia Ciofi ne s’en laisse pas compter. Sa voix a suffisamment de corps pour éviter le syndrome du soprano « rossignol », mais conserve une belle délicatesse. Le « Caro nome » pourtant rebattu nous fascine toujours : peu importe que les coloratures manquent quelque peu de brillant, ou que le suraigu soit parfois crispé, le portrait de la jeune fille rêveuse est tout simplement saisissant.
Après l’entracte, les larges extraits de La Traviata émeuvent sans totalement nous transporter sur de mêmes cimes. Leo Nucci semble un peu moins à son aise en vieil homme rigide et Violetta se trouve à la limite des capacités vocales de Patrizia Ciofi. La scène de l’acte 1 avec son « Sempre libera » couronné par le contre-mi bémol (tout juste esquissé) mais surtout son « Fors’e lui » d’une tendresse rêvée la voient plus dans son élément que la confrontation avec Giorgio Germont dans l’acte 2, qui demanderait parfois plus de poids vocal. Pour autant la composition admirable ne peut laisser de glace, d’autant que le choix de scènes entières permet de s’affranchir, malgré l’absence de décor et de costumes, du cadre strict du concert : ce soir nous sommes à l’opéra.
Et qu’importe que l’Orchestre de chambre de Paris dirigé par le démonstratif Marco Zambelli ne soit pas tout à fait au niveau (justesse et homogénéité des cordes ne sont pas parfaites), il se révèle un accompagnateur attentif qui participe à la réussite de la soirée.
Souhaitons que la saison lyrique soit au diapason de cette rentrée !