Pour la deuxième année consécutive, le Musée d’Orsay et la Fondation Royaumont ont conjugué leurs forces au sein de l’Académie Orsay-Royaumont pour aider de jeunes chanteurs à aborder l’art subtil du Lied et de la mélodie en compagnie de maîtres prestigieux, dont les noms parlent d’eux-mêmes : Christian Immler, Stéphane Degout, Christoph Pregardien, Véronique Gens. C’est cette dernière qui était sur la scène de l’Auditorium du Musée d’Orsay, le 21 novembre, pour donner, devant une audience où se trouvaient ses élèves, une authentique leçon de chant.
Une leçon de style d’abord, sans quoi le chant n’est pas grand-chose : tout au long d’un programme explorant la diversité de la mélodie française, Véronique Gens séduit par sa capacité à saisir d’emblée le caractère de chaque pièce, à en restituer les spécificités et la singularité. Camille Saint-Saëns, qui ouvre le programme, s’est parfois élevé contre l’influence des compositeurs allemands sur les jeunes musiciens français. Son style n’en a pas moins ce mélange de clarté et d’éloquence qui laissent penser que le compositeur de Samson et Dalila a dû beaucoup écouter Schubert et Schumann. Véronique Gens montre cette chaîne sans rien perdre de l’exotisme légèrement forcé de « Désir de l’Orient » et d’« Extase », témoins d’un orientalisme qui, dans l’Europe de l’époque, ne connaissait presque pas de frontière. Cette inclination apparaît avec plus d’évidence encore dans les œuvres de Delibes données juste après : certains seraient même tentés de surjouer les « couleurs locales » de la « Chanson hongroise » ou de la « Chanson slave » : soutenue par Susan Manoff, dont le piano ne souffre aucune faute de goût, Gens sait éviter ces écueils pour laisser simplement respirer la musique, et résonner les mots.
Car sa leçon de style se double d’emblée d’une leçon de diction. Un seul extrait des Quatre poèmes d’après l’Intermezzo de Heinrich Heine suffit à montrer comment soutenir les lentes progressions harmoniques de Guy Ropartz sans rien sacrifier à la conduite du texte. Saisissant contraste : « Aimons-nous » de Reynaldo Hahn, qui clôt brillamment la première partie, prouve que l’exercice n’est pas moins probant quand le texte se coule dans des valeurs plus courtes, qu’il s’élance davantage qu’il ne se déploie, qu’il court plus qu’il ne se pose. Après l’entracte, Les Nuits d’Eté trouvent naturellement leur place dans cette soirée où les excès et les grandiloquences sont bannis. L’accompagnement au piano favorise une « Villanelle » toute simple, ne cachant pas sa fraîcheur, peut-être même sa naïveté, derrière de pseudo-wagnérismes. « Le spectre de la rose » et « Absence », en revanche, entrouvrent des voies qui, de Berlioz, vont directement à Duparc, à Ravel, à Debussy. Debussy, qui disait de Berlioz qu’il « ne fut jamais, à proprement parler, un musicien de théâtre », devrait entendre Véronique Gens chanter « L’Île Inconnue » pour réviser son jugement : la volatilité des lignes mélodiques, la versatilité des rythmes, l’imprévisibilité des nuances et des écarts de registre, Véronique Gens sait en faire un vrai petit opéra, alors même que, légèrement souffrante, la plénitude son aigu est entravé et qu’elle doit parfois se retourner entre deux pièces pour masquer une quinte de toux. La leçon de chant, ce soir, était aussi une leçon d’humilité !