Défricheur de compositeurs français méconnus, oubliés, le Palazzetto Bru Zane n’en explore pas moins le corpus d’œuvres de certains des plus fameux, tel que Camille Saint-Saëns, où recèlent d’innombrables et inestimables raretés. C’est avec un florilège de ses mélodies que s’ouvre ainsi la saison de l’institution vénitienne, avec deux de ses interprètes de prédilection : le baryton Tassis Christoyannis accompagné du pianiste Jeff Cohen.
A l’écoute des Cinq poèmes de Ronsard dont sont présentés ici deux extraits, « L’Amour oyseau » et « L’Amour blessé », c’est, avec le choix assumé du roulement des « r », la candeur du texte qui frappe de prime abord, et en miroir une musique que l’on qualifierait d’un peu simple. Mais si l’on s’interroge sans doute trop rapidement sur l’intérêt artistique de ces mélodies, le baryton nous révèle peu à peu, dans l’intelligence et la vraisemblance de son jeu, le caractère en réalité pleinement assumé de cette ingénuité qui fait sourire. La connivence ainsi établie, la musique prend désormais une toute autre saveur.
Écrit dans le contexte de la Grande Guerre, La Cendre rouge offre une musique déjà plus contrastée. Quittant le registre de la légèreté, Tassis Christoyannis livre avec une élégance rare un chant d’une poignante gravité dans « Âme triste », « Jour de pluie » ou encore « Silence », où la voix prend des accents du passé, tandis qu’éclosent dans un « Mai » anaphorique et bondissant les élans d’un espoir encore vivant.
Sans doute le recueil de mélodies le plus connu de Saint-Saëns, les Mélodies persanes – qui n’ont musicalement pas grand-chose d’oriental –, confirment s’il le fallait cet art impressionnant de la déclamation française du baryton grec, et chez qui s’entend paradoxalement aussi, mais avec bonheur, un charme indéniablement latin. L’orientalisme, lui, se trouve plutôt dans une « Danse macabre » et jouissive, à la narration haletante quoique parfaitement maîtrisée, et qui voit un Jeff Cohen tant à son aise qu’il trahirait presque une prédilection pour cette musique venue d’ailleurs…
Il est beau et rassurant de voir avec quelle maestria un artiste grec est capable de défendre l’art du chant français. Pour poursuivre le rêve, la plupart de ces mélodies ont fait l’objet d’un enregistrement qui vient de paraître chez Aparté.