La Monnaie propose depuis de nombreuses années, à un public restreint mais très fidèle, un cycle de récitals de lieder ou de mélodies dont chaque étape constitue un rendez-vous très attendu des amateurs. La première séance de cette saison 2014-2015 était clairement divisée en deux parties, une première entièrement consacrée aux lieder allemands des années 1880 (Wolf et Strauss) et l’autre, après la pause, à l’Horizon chimérique de Fauré et aux sonnets de Pétrarque mis en musique par Liszt.
Même si nous avons déjà abondamment dit dans ces colonnes tout le bien qu’il y a à penser de la voix de Stéphane Degout, soulignons, au risque de nous répéter, la richesse de son timbre, la qualité exceptionnelle de sa diction – tant en français qu’en allemand ou en italien –, la longueur de sa ligne de chant et la très grande concentration que cet artiste extrêmement professionnel met à tout ce qu’il fait. L’ensemble de ces qualités, que l’on a surtout pu observer à l’opéra, sont bien présentes en récital également, et c’est un véritable bonheur de le retrouver dans le cadre plus intime du liederabend où le contact avec le public est infiniment précieux.
Caractère un peu farouche et introverti, Degout semble pourtant moins à l’aise dans cet exercice que lorsqu’il incarne un personnage à la scène. Il aborde l’ensemble du récital le sourcil froncé et l’âme sombre – le répertoire sélectionné s’y prête – déployant très généreusement les ors de sa voix, au point même de couvrir par moment le piano de son complice. Personne ne se plaindra d’un tel luxe vocal, mais le rendu des textes nécessite parfois des couleurs moins chatoyantes, de la transparence, du quasi parlando, une diversité de propositions propices à rendre les nuances poétiques et musicales de ce répertoire infiniment subtil, et une spontanéité, réelle ou feinte, dans le propos. Ces caractéristiques-là font ici un peu défaut. Cette légère réserve exprimée, l’intensité extrême de l’ensemble de sa prestation impressionne, ainsi que le lyrisme soutenu de chaque phrase, qui semble tendue comme un arc. Wolf est rendu avec une très grande maîtrise, une sobriété intense et un grand souci du texte. Strauss, nettement plus lyrique, convient bien aux deux musiciens, même si un accident de mémoire dans Geduld vient troubler un peu la sérénité et le bon déroulement de cette section. Lob des Leidens et surtout Allerseelen sont particulièrement intenses, mais manquent un peu de transparence.
En début de seconde partie, c’est surtout la qualité de la diction française qui frappe. Degout livre de Fauré une vision virile et charpentée, bien loin du caractère salonnard qu’on lui reproche souvent. Il est vrai que l’on aborde ici la meilleure veine du compositeur : le cycle de l’Horizon chimérique, composé par un musicien très âgé mais bien vivant sur les texte d’un très jeune homme mort au front en 1914 est un hymne à la vie qui ne manque pas d’émouvoir par sa dimension métaphysique. L’italien des sonnets de Pétrarque et la ligne musicale volontiers bavarde de Liszt conviennent peut-être un peu moins à l’humeur sombre du chanteur.
Discret – presque trop –, d’une précision redoutable, souvent inspiré mais pas toujours complètement libre, Michaël Guido sous-tend les propositions du chanteur avec tact et élégance, osant des demi-teintes inspirées et des nuances très délicates, pour le plus grand bonheur des amateurs. Deux bis viennent clore la soirée : Traum durch die Dämmerung de Strauss, et Hôtel de Francis Poulenc.