Le récital de Sabine Devieilhe ce soir à la Philharmonie de Paris renouvelle l’éclatante réussite de son album Mirages sorti il y a moins d’une semaine. Ce succès découle en particulier d’une grande alchimie entre les interprètes et le répertoire et d’une conjonction rare de facteurs.
Le programme du récital d’abord, intégralement chanté en français, est admirablement composé. Construit autour de deux fils conducteurs (Shakespeare en première partie, qui fait la part belle à Ambroise Thomas, puis l’Orient après l’entracte), il maintient l’intérêt tout au long du spectacle en variant intelligemment les climats : on est ainsi cueilli par la fantaisie de Mignon avec l’air de Philine « Je suis Titania la Blonde », d’une virtuosité ébouriffante, avant de passer avec les Ophélie de Berlioz puis de Thomas à la mélancolie et la folie. Du point de vue stylistique, également, on voyage, de l’opéra comique français au Rossignol de Stravinsky qui flirte avec l’atonalité, en passant par les conceptions fort disparates, souvent fantasmées de l’Orient. A ce titre, les Quatre Poèmes hindous mis en musique par Maurice Delage, en particulier le second, dans lequel le violoncelle transformé en sitar et la longue mélopée parfois nasalisée, nous font respirer les parfums d’une Inde plus authentique. Si ce n’était suffisant, on nous réservait une dernière surprise pour le second bis, la présence d’Alexandre Tharaud qui vient marier son piano diapré pour La romance d’Ariel de Debussy.
L’évidence et le naturel sont les caractéristiques qui viennent immédiatement à l’esprit pour définir Sabine Devieilhe. Cela se traduit d’abord par son attitude sur scène : détendue et souriante, elle ne joue pas les divas, ne s’appesantit pas sur scène pour profiter des applaudissements nourris qui accueillent chacune de ses interventions, permettant ainsi aux numéros de s’enchainer sans temps mort.
Ce naturel se retrouve également dans la prononciation du français, avec ses r légèrement roulés, sans affectation aucune, et la diction, intelligible sans aucun effort, même dans l’aigu, ce qui en soi est une gageure. Le chant semble couler, limpide et sans dureté aucune, jusque dans les notes les plus stratosphériques. Les difficultés techniques semblent inexistantes : les suraigus émis soit à pleine voix soit mezza voce, les trilles et autres coloratures s’inscrivent naturellement dans la ligne de chant. Cela crée parfois des moments suspendus tel l’aigu final interminable de « Le jour sous le soleil béni » extrait de Madame Chrysanthème d’André Messager, sur le fil de la voix.
Les pièces les plus virtuoses ne se résument en aucun cas à un numéro de cirque : la chanteuse prend soin de caractériser les personnages. L’Ophélie d’Hamlet fait ainsi entendre une jeune fille perturbée, avec des accès de colère inquiétants. Comme elle le déclarait dans ces mêmes colonnes, « En récital, je ne suis pas toujours entre le contre-ut et le contre-sol ! » : les airs sollicitant moins la virtuosité (La Mort d’Ophélie de Berlioz en particulier) mettent d’autant plus en exergue son souci des mots et de la coloration. Le concert se termine d’ailleurs en apothéose avec de larges extraits de Lakmé, un de ses rôles fétiches : au-delà de l’air des clochettes parfaitement exécuté, ce sont « Les fleurs me paraissent plus belles » et surtout le bis « Tu m’as donné le plus doux rêve » qui donnent le frisson par leur pureté et leur douceur irréelles.
L’orchestre Les siècles sous la direction de son créateur Francois-Xavier Roth est un accompagnateur idoine pour la soprano colorature. Il partage d’abord sa versatilité, aussi à l’aise dans les ouvertures parfois tonitruantes d’Ambroise Thomas, ou les danses de Coppélia que dans l’ensemble instrumental réduit des Quatre Poèmes hindous. Il brille également par la virtuosité des cordes et le fondu délicat des timbres, composant un soutien luxuriant mais toujours discret pour la voix.