Michael Spyres sans roulades, sauts de registre, grands écarts et autres acrobaties inhérentes au répertoire belcantiste est-il encore Michael Spyres ? Le chanteur américain qui a bâti l’essentiel de sa renommée sur les exploits vocaux d’une école de chant périlleuse entre toutes peut-il tourner le dos à ce qui a fait son succès, abandonner des partitions redoutables où il est sans rival pour des airs à la portée de tout ténor un tant soit peu dégourdi, ne plus mettre ses pas dans ceux des géants d’autrefois – Nourrit, Duprez, Nozzari – mais marcher avec le peloton ; chanter à son tour Don José, Hoffmann, et même la saison prochaine Florestan dans Fidelio ; accepter la comparaison, lui jusqu’alors incomparable, et devenir un ténor comme les autres ?
Tel serait le cas si le programme de ce récital Salle Favart, prélude à l’exhumation de La Nonne sanglante sur cette même scène le mois prochain, alignait des numéros comme à la parade, dans la seule intention de bomber le torse. Il n’en est rien. La démarche reste intelligente, guidée non cette fois par un grand chanteur du passé mais par l’esprit des lieux. Huit airs, d’Etienne Mehul à Gustave Charpentier, offrent un aperçu de l’histoire de l’Opéra-Comique, sans que ce panorama historique n’enferme dans sa zone de confort un ténor qui aime se mettre en danger. Aux périls de la virtuosité succèdent, aussi vertigineux, ceux de l’endurance et de l’expression, juste, absolue, suicidaire.
Hipster jovial à la mèche folle, Michael Spyres entre sur scène, d’abord débonnaire puis transfiguré dès que la musique débute, comme emporté par le flot de notes, possédé. S’impose d’emblée ce qui range le ténor parmi les meilleurs de sa catégorie : une prononciation exemplaire du français, une technique superlative avec un usage habile de la voix mixte, et plus encore la capacité d’entrer dans la peau du personnage jusqu’à se confondre avec le rôle, tendre, rêveur ou féroce selon l’humeur de la partition. Qu’il s’agisse de contrefaire Kleinzach monstrueux et drôle de monstruosité avant de céder au lyrisme éperdu du souvenir, de donner à comprendre la sensualité coupable de Gérald ou de présenter Ariodante dressé telle une statue antique sur son socle tragique, l’interprétation demeure saisissante de vérité. Les méfaits de la bronchite responsable de l’annulation la semaine dernière du Requiem de Berlioz restent cependant perceptibles. L’aigu lorsqu’il est émis en voix de poitrine trahit l’effort. Passée une « Invocation à la nature » homérique, qui chavire la salle et laisse le ténor en larmes, la fatigue devient évidente. Massenet encaisse l’engagement émotionnel. « La fleur que tu m’avais jetée » marche sur des œufs et les débordements amoureux de Julien face à un orchestre gonflé à l’hélium wagnérien sont autant de coups portés à un ténor chancelant. Dirigé par Jean-Francois Heisser, l’Orchestre de Chambre Nouvelle-Aquitaine apporte le soutien et, le temps de longues pages symphoniques, la respiration nécessaire à la soirée.
Nouvel Antée revigoré par les clameurs enthousiastes du public, Michael Spyres revient pour un Postillon de Longjumeau à la filiation rossinienne rendue évidente par l’agilité et l’usage subtil autant qu’inattendu du trille, puis reprend une nouvelle fois la chanson de Kleinzach dans son intégralité, mieux que chantée, vécue comme nul autre ténor aujourd’hui ne sait la vivre.