Sous l’égide du Centre International Nadia et Lili Boulanger, Marie Perbost et la pianiste Joséphine Ambroselli, nous ont offert, hier soir, un spectacle pétri de singularité et de poésie. Ceux qui ont eu le privilège d’entendre le disque éclectique et transversal Une jeunesse à Paris, où les deux artistes mélaient leur art, savaient déjà que le duo, chambriste dans l’âme et amoureux des mots, ne pécherait pas par manque d’originalité. A l’occasion de ce récital au Musée Guimet, les deux complices de longue date se sont adjoint la participation de François Le Roux, en présentateur et interviewer d’un soir, artiste rare, lui aussi rompu au récital et à l’art des mots. Par son entremise, il nous est précisé que le présent spectacle « n’est pas un récital proprement dit, mais un roman lyrique, scénique, presque opératique » imaginé par Marie Perbost et Joséphine Ambroselli. Dans une mise en perspective du roman Une vie de Maupassant et des mélodies et Lieder de Fauré, Debussy Brahms ou Wolf, les deux artistes se font tour à tour diseuses du texte littéraire et interprètes des œuvres musicales.
Ce spectacle mérite la palme de la versatilité et de l’originalité. Ce bel éclectisme nous vaut de passer des mots de l’auteur à la musique qui se répondent en échos comme un effet de miroir de par leur thèmes communs : la relation des êtres, en l’occurence celle d’une mère et de son fils, de l’amour dit du bout des lèvres à l’amour déclaré à pleine voix. Marie Perbost et Joséphine Ambroselli sont actrices de scénettes intimistes, incarnant deux jeunes filles qui découvrent le roman de Maupassant à l’aune de la musique. La pianiste quitte alors, de temps à autre, le clavier pour le devant de la scène, la chanteuse s’échappe de la lumière pour s’installer dans l’intimité d’un coin de scène, dans l’écrin moelleux et rassurant d’un fauteuil, d’où elle fait voyager les pensées introspectives des Lieder de Wolf.
La voix de soprano veloutée de Marie Perbost fait merveille dans les mélodies de Hahn et de Debussy, répertoire que d’ailleurs elle affectionne particulièrement. Elle sait parfaitement doser la part de légèreté et de gravité dans ces œuvres en incarnant pleinement les sentiments portés par les mots. Chez Debussy, l’on est d’emblée séduit par la sensualité de « C’est l’extase », le chant enveloppé dans une langueur voluptueuse. Tout est ici exprimé avec naturel et élégance. « Spleen » du même Debussy sur les mots de Baudelaire, qui cristallise une douleur lancinante et « Sanglots » de Poulenc trempé dans l’encre d’Apollinaire, portant une fin qui n’en est pas une, peuvent être piégeuses d’affliction exacerbée ou de fausse félicité. Mais Marie Perbost les chante avec retenue n’en rajoutant jamais dans l’affect. Les pièces de Brahms, Wolf, et Schubert qui poursuivent le programme sont marquées par la même sobriété et implication dans le verbe : on admire la netteté de l’élocution, on entend le travail rigoureux sur les rythmes et les phrasés. On comprend alors, dans cet art du dire, l’impact que peuvent avoir les mots parfaitement ciselés.
Mais une telle sobriété dans l’interprétation n’empêche toutefois nullement la légèreté, l’élan enthousiaste de la découverte de deux jeunes âmes qui voyagent dans deux univers parallèles mais qui se rejoignent par intermittence dans le langage universel de la musique. Ainsi, dans « Puisque l’aube grandit » de Fauré répondant en écho au « Et elle se mit à rêver d’amour » de Maupassant, les deux artistes donnent, de par leur complicité, un souffle presque jubilatoire à l’espoir nouveau au seuil d’une vie qui commence.
L’élégance du jeu de Joséphine Ambroselli accentue davantage encore cette subtile mise à nu des émotions. A cet égard, la grande complicité de la chanteuse et de la pianiste n’est pas étrangère à la réussite de cette soirée. On sent ici un accord parfait entre les deux artistes qui portent une vision commune de ces poèmes vivants. Sous le signe d’un bonheur partagé se referme une rêverie poétique portée par deux jeunes artistes dont la synergie est un véritable enchantement.