« Quel prix de mon amour, quel fruit de mes forfaits » : c’est avec les mots de Thomas Corneille et la musique de Marc-Antoine Charpentier que Marie-Nicole Lemieux, visiblement très émue, achève le troisième et dernier bis du récital qu’elle donnait ce lundi soir à la Philharmonie de Paris. Elle clôture ainsi, de la même façon qu’elle l’avait ouvert, un voyage de plus de deux heures dans le baroque français. Le programme du concert avait été conçu comme un hommage aux rôles dits « à baguette », et mettait ainsi à l’honneur ces reines, magiciennes et autres femmes toutes puissantes mais tragiquement malheureuses en amour.
Cette passionnante épopée, qui s’étend sur près d’un siècle, est l’occasion de découvrir de véritables joyaux du répertoire baroque français. Au sein de ce programme d’une grande richesse, on retiendra tout particulièrement les étonnants extraits des Génies, opéra composé en 1736 par Mademoiselle Duval, ou encore les airs d’Omphale (1701), d’une tension à glacer le sang, et signés d’André-Cardinal Destouches. Il faut à ce titre féliciter le travail original réalisé par l’ensemble de l’équipe artistique au titre de ce concert qui sort des sentiers battus.
Marie-Nicole Lemieux & Stéphane Fuget © O. Bertrand
Marie-Nicole Lemieux en majesté
La contralto québécoise faisait ce soir ses débuts dans la tragédie lyrique française. « C’est la première fois que j’ose faire ce répertoire », déclare-t-elle au public, remerciant par la même occasion le chef Stéphane Fuget, à l’origine de cet ambitieux projet. Et pourtant, on jurerait que Marie-Nicole Lemieux a toute sa vie interprété ce répertoire qu’elle conduit au sommet ! La voix, magnifiquement projetée dans la Philharmonie, charme toujours autant par sa chaleur et son velouté. La diction, d’une exquise précision, n’omet pas d’appuyer sur certains mots pour mieux mettre en valeur les points saillants du texte. Enfin, la tessiture extrêmement exigeante de ces rôles trouve en Marie-Nicole Lemieux une interprète parfaite. En fin de deuxième partie, la cantatrice s’offre même le luxe d’incarner le rôle, pourtant composé pour soprano, de l’Armide de Gluck, dans un air qu’elle cisèle avec grâce et ornemente avec toute la finesse requise.
Tragédienne, Marie-Nicole Lemieux l’a toujours été. Il n’est qu’à voir pour s’en convaincre la majestueuse fierté de ses entrées, ou encore sa façon d’alterner les moments de fureur, de désespoir, de folie et de joie. Et avec quel art suprême elle passe par tous ces extrêmes, tout en dignité, et sans aucunement sacrifier la ligne vocale. Le mot de Titon du Tillet sur Marie Le Rochois (1658-1728), créatrice entre autres des rôles d’Armide de Lully et de Médée de Charpentier, que l’on retrouve dans la note de programme, ne résumerait pas mieux l’impression laissée ce soir par Marie-Nicole Lemieux : « Quand elle commençait à s’émouvoir et à chanter, […] on ne voyait plus qu’elle sur le théâtre et elle paraissait seule le remplir ».
Marie-Nicole Lemieux © Geneviève Lesieur
A ses côtés, le chef Stéphane Fuget se révèle un guide parfait, accompagnant tantôt avec passion, tantôt avec délicatesse la contralto. Son orchestre Les Epopées, à l’effectif idéalement fourni – plus de vingt-cinq instruments à cordes, hautbois, traverso et bassons par quatre –, révèle une belle sonorité. Les ouvertures ont la majesté qu’il faut, les sarabandes sont remplies de grâce. L’ensemble passionne de bout en bout, comme dans cet « Air des démons » extrait de Médée et Jason de François-Joseph Salomon.
Après Vivaldi, Carmen, la mélodie et tant d’autres défis – on annonce prochainement un Ring dans lequel elle chantera Fricka et Erda –, où s’arrêtera Marie-Nicole Lemieux ?
Les Epopées & Stéphane Fuget © Etienne Charbonnier