Le même programme exactement que celui qu’ils avaient présentés lundi dernier à la Philharmonie de Paris se donnait ce mercredi soir au Palais des Beaux-Arts de Bruxelles, ville où Marie-Nicole Lemieux se fit connaitre du public européen en remportant en juin 2000 le premier prix du prestigieux concours Reine Elisabeth. Adorée du public belge qui suit sa magnifique carrière avec intérêt et bienveillance, la contralto canadienne revient régulièrement dans la capitale européenne honorer son cher public. Elle exprimera d’ailleurs cet attachement tout particulier à ces souvenirs, à cette salle-là, dans un adresse au public en fin de programme, visiblement portée par une belle et grande émotion.
Dotée d’une voix à la fois souple et puissante, magnifiquement timbrée, Marie-Nicole Lemieux est aussi une très forte personnalité, dotée d’une grande curiosité, prête à aborder des répertoires très variés. Le plaisir qu’elle prend à être en scène, elle le communique très généreusement au public, avec truculence, charme, humour et simplicité. Tout cela était bien au rendez-vous du concert de ce mercredi soir, justifiant le grand enthousiasme d’une salle pourtant à demi vide.
Comme l’a très bien décrit notre confrère, le programme de ce récital est fait d’une suite de courts airs puisés à différentes sources de la tragédie lyrique française (c’est presqu’un pléonasme) autour des personnages de Médée, la plus tragique de toutes, de Circé la magicienne, et de quelques autres, Argine, Picaride ou Armide.
A l’exception de l’Armide de Gluck, qui relève d’une autre époque et d’une autre esthétique, et dont on se demande un peu ce qu’elle vient faire là, le répertoire est stylistiquement très homogène.
Beaucoup de pages nouvellement découvertes, pour ainsi dire jamais présentées en concert et encore moins à la scène, choisies dans les opéras de compositeurs parfois obscurs, émaillent le programme, permettant d’heureuses surprises. C’est tout l’apport de Stéphane Fuget dans ce projet, une contribution suffisamment rare pour qu’elle soit saluée.
Mais il est un peu exagéré de dire qu’on nous présente ces œuvres ou ces compositeurs inconnus : on ne fait que jeter une oreille curieuse en passant, on n’y reste que quelques minutes sans rien percevoir de la dimension réelle des œuvres en question et c’est là tout le problème. La tragédie lyrique – où tout est fait de tension et de dénouement, de longues mises en situation débouchant sur de courtes résolutions magistrales – s’accommode mal du découpage qu’on lui fait subir ici, et ce qui se voulait être un feu d’artifice d’airs tragiques présentés à jet continu manque sa cible, faute de s’intégrer dans le contexte dramatique adéquat. Certes, la virtuosité et l’intensité lyriques entièrement portées par la chanteuse sont remarquables, mais l’émotion musicale n’est guère au rendez-vous que par bribes. C’est sans doute la forme même du récital qui n’est guère appropriée pour ce type de répertoire. On passe sans interruption, parfois même sans s’en rendre compte, d’un compositeur à l’autre, d’un personnage à l’autre, d’un affect à l’autre, et chaque fois par de très courtes séquences ; les airs sont entrecoupés de chaconne ou de sarabandes, et si les situations ont en effet des points communs, Médée n’est pas Circé et tuer ses propres enfants n’a pas la même portée dramatique que jeter un sort à ses amants. L’impression générale est que ce parcours est agréable à entendre, suscite la curiosité mais finit par lasser un peu, à force de solliciter toujours le même type d’émotion. L’accumulation d’airs tragiques, enchaînés les uns aux autres comme on enfile des perles sur un collier, ne constituent finalement pas une trame dramatique cohérente.
Autre déception, et de taille, la réalisation des Epopées n’est pas parfaite, loin de là. L’effectif, relativement nombreux, peine à trouver une véritable cohésion et une couleur instrumentale qui lui soit propre : en particulier, les traits des cordes sont imprécis et mal coordonnés. Ce qui passerait sans doute dans une acoustique d’église ne résiste pas aux conditions pourtant excellentes de la grande salle bruxelloise, qui ne pardonne pas l’approximation. Des couleurs bien ternes et le choix de tempi très lents conduisent à une véritable dilution de la tension dramatique ; peu de contraste dynamique et de soin apportés aux interventions individuelles des solistes, une direction un peu scolaire et sans charisme peinent à rivaliser avec les efforts de la chanteuse pour insuffler la vie et le drame. Si l’oreille est effectivement séduite par le charme de la voix et la personnalité de la chanteuse, l’esprit l’est un peu moins, malgré les efforts de recherche musicologique.