Pour ce récital, dans une salle Favart plutôt bien remplie, Marianne Crebassa a beaucoup puisé dans son disque « Oh, boy ! », paru l’an dernier, puisque 7 des 12 airs chantés ce soir figuraient déjà dans cet enregistrement. Notre confrère Laurent Bury y déplorait d’ailleurs une certaine froideur voire une monotonie, peut-être liées à celles du studio.
En public, point de monotonie. La mezzo-soprano arrive d’un pas décidé et assène d’emblée un glorieux « Nobles seigneurs salut ! » lequel a sans doute flatté la salle et qu’elle achève non sans espièglerie avec un petit haussement d’épaule. Espièglerie ? Le programme riche et fort intéressant de cette soirée ferait penser à des clairs-obscurs plutôt qu’à des bravades, à la douce lune plutôt qu’au flamboyant soleil. Les trois tenues successives de l’artiste aussi, d’ailleurs. Trois variations en noir et blanc. Car si l’on retrouve fraîcheur et entrain chez Urbain, Stefano ou même dans les aveux de Siebel, c’est un doux mélange d’espoirs fragiles et de fatalisme presque désabusé, qui constitue le fil conducteur du récital. Les choix orchestraux, d’ailleurs, l’illustrent également, entre la gaité pleine d’espérance du Bal des Jeux d’enfants, les promesses de l’Idylle de Chabrier, l’entrain de l’ouverture du Mozart de Hahn, la douceur ineffable de l’entracte de Roméo et Juliette et l’atmosphère plus tendue et incertaine, de l’assez démonstrative ouverture de Phèdre. Démonstratif, Victorien Vanoosten ne l’est nullement dans sa direction claire et rigoureuse. Il parvient avec un orchestre très concentré mais aussi visiblement heureux de jouer ces morceaux, à créer de belles atmosphères. Si, çà et là, les cordes peuvent paraître un peu acides, l’ensemble offre une belle tenue, précisément plus à l’aise et plus adapté dans les clairs-obscurs, que dans le déferlement orchestral, heureusement rare ce soir. Ce mélange heureux de raretés et de tubes fait du bien et il a un nom : poésie. On pardonnera donc bien volontiers les petits changements observés en fin de concert par rapport au programme de salle.
Dès lors, bien entourée, Marianne Crebassa peut dérouler son récital avec confiance. Cette confiance qu’on sent se renforcer tout au long de la soirée, air après air, personnage après personnage. Plus décontractée dans la seconde partie, l’artiste ôte ses talons scintillants et s’assoit pour rêver au bord de la scène, y chanter Fantasio et écouter sans façons une version orchestrée d’À la manière de Chabrier de Ravel, subtilement placée à la suite du « Faîtes-lui mes aveux » de Faust, dont elle reprend le thème. Pour autant qu’on puisse en juger à trois rangs de la scène, sa voix emplit sans difficulté une salle tout à fait taillée à sa mesure et il ne fait pas de doute qu’elle y est promise à de grandes soirées. Chaleureuse et puissante, cette voix ne craint ni les aigus ni les graves qu’induisent les airs choisis. Econome, elle n’est pas pour autant avare : bien posée, elle lance les traits attendus quand il le faut et sans faillir ni trembler, sans jamais faire passer la puissance – pourtant bien réelle au moins dans cette salle – avant les nuances. Et ce sont ces dernières et l’émotion qu’elles suscitent, qui rendent précieux les moments passés par exemple avec Eros, avec Fantasio, avec Nicklausse ou avec Lazuli. La délicieuse Romance de la lune, extraite de l’Etoile de Chabrier, est d’ailleurs l’une des meilleures réussites de la soirée. Il faut également souligner une très bonne diction, parfaitement perceptible en tout cas dans les premiers rangs.
Au public connaisseur, chaleureux et respectueux des artistes, Marianne Crebassa réserve deux bis de Ravel, justement : « La flûte enchantée » de Shéhérazade et « Toi le cœur de la rose » de l’Enfant et les sortilèges. Deux derniers moments de grâce d’une belle soirée, durant laquelle une petite étoile avait rendez-vous avec la lune.