Rendre festif un programme consacré aux orphelines : voilà bien un défi pour Julie Fuchs ! Elle avait crânement relevé le gant avec son album Mademoiselle paru chez Deutsche Grammophon l’hiver dernier. Retrouvant sur scène ses partenaires du disque, les musiciens de l’Orchestre National d’Ile-de-France, mais sans Enrique Mazzola au pupitre, remplacé par Paolo Arrivabeni, elle y donne encore un surplus de vie à ces portraits de femmes dont elle saisit d’un geste les contours et les aspérités.
De Bizet à Verdi en passant par Offenbach, les vocalises à l’espagnole ont souvent excité l’imagination de compositeurs férus de couleur locale et d’effets de surprise. L’extrait de Gli Zingari du compositeur d’opéra-bouffe napolitain Vincenzo Fioravanti permet à Julie Fuchs de dispenser des éclats de voix savamment calculés – et d’esquisser quelques pas de danse. La légèreté reste de mise avec « Sventurata mi credea », air de Clorinda souvent coupé du dernier acte de la Cenerentola rossinienne et dans lequel on perçoit bien que la protagoniste, sommée de présenter des excuses à Angelina, ne s’appesantit pas excessivement sur les tracas que lui cause une telle extrémité, préférant imaginer tous les avantages qu’elle tirera de son futur hypothétique mariage. « Il faut partir » voile, forcément, l’atmosphère insouciante de ce début de récital, d’autant plus que Julie Fuchs donne à sa Marie une pulpe, une chair, une densité vocale assez peu entendues dans ces pages généralement dévolues à des sopranos légers. Car si Julie Fuchs s’inscrit bien dans cette famille vocale, la rondeur et les moirures pourpres du timbre lui autorisent des nuances bienvenues, que des instruments plus limités ne peuvent se permettre.
C’est ce sens des nuances qui donne de la saveur à « Amor cagion possente », douce complainte issue de l’Orfana russa de Pietro Raimondi qui, interprétée avec moins d’inventivité, sans les déambulations de Julie Fuchs au balcon de l’Opéra Royal, semblerait bien terne. Plus caractérisée, plus caractérielle, la « Zaïde » de Berlioz s’impose avec un abattage rageur, et ouvre le chemin au seul air vraiment ibérique de ce programme si hispanisant, « Por que se oprime el alma » extrait de Mis dos mujeres de Francisco Barbieri. Méconnue des mélomanes français (y compris de votre serviteur, soyons lucide), la zarzuela gagnerait à être plus souvent jouée, surtout de cette manière : la longue introduction orchestrale, avec solo de violoncelle obligé, mérite l’écoute à elle seule, et permet enfin d’apprécier l’Orchestre National d’Ile-de-France dans sa meilleure forme, après des extraits rossiniens plus hésitants (La gazza ladra) voire prosaïques (les Temporale du Barbier de Séville et de La Cenerentola sont de biens sages petites brises), malgré l’énergie et la précision de Paolo Arrivabeni. En fermeture officielle de programme, « En proie à la tristesse », pris à un train d’enfer, sème bien, quant à lui, le vent de folie apportant ses tonnerres d’applaudissements et son flot de bis : attendu mais idéalement théâtralisé, « Una voce poco fa » cède la place à une étonnante berceuse islandaise. A cappella dans le noir, accompagnée par le chœur à bouche fermée des musiciens… Déboutonner gentiment les conventions et les rites du récital vocal, un autre défi à la hauteur de Julie Fuchs !