Surprenante et imprévisible Julie Fuchs ! Alors que son prochain album, à sortir chez Deutsche Grammophon le 15 février, fera honneur à Rossini, Donizetti ou Meyerbeer, son retour sur les planches parisiennes s’opère autour de la mélodie, dans sa plus large acception : mélodie française, vocalises contemporaines, songs, et chanson pour commencer.
Entamée dans le noir, a cappella, la « Petite cantate » confirme les affinités de Julie Fuchs avec Barbara (elle avait enregistré « Göttingen », dans le cadre du disque collectif Elles & Barbara) et donne le ton d’une soirée qui, sans cabotinage excessif, veut bousculer doucement les rites du Liederabend. Toujours à propos quand elle présente le programme et souvent drôle quand elle précise qu’elle n’a rien contre les applaudissements entre deux numéros d’un même cycle, Julie Fuchs met dans les Ariettes oubliées que Verlaine inspira à un Claude Debussy encore jeune une verdeur, une forme d’insouciance où la mélancolie peut affleurer sans jamais s’attacher. « Il pleure dans mon cœur », « Green », sont phrasés avec une délicatesse qui n’a rien d’emprunté. Le piano d’Alphonse Cemin n’est pas en reste, qui offre un support sans afféteries où le chant, les harmonies, les atmosphères sont idéalement décantés. Mais ce soir, c’est la voix qui semble ne pas remplir toutes les exigences des interprètes, gênée par un passage de registres difficultueux et un aigu au vibrato prononcé. L’érotisme revendiqué des pièces écrites par Poulenc sur des poèmes de Louise de Vilmorin convient finalement mieux à cette vocalité extravertie, à ce timbre opulent qui paraît fait pour dire les amours vécues plutôt que les idylles rêvées.
Après l’entracte, « Sun in my mouth » de Björk ne dépare pas un programme qui fête les poétesses et les musiciennes, et au sein duquel sa sensualité trouve naturellement sa place. Apparition, long cycle de George Crumb composé en 1979, nous paraît malheureusement plus dispensable : les imitations de pépiements d’oiseaux et de bourdonnements d’insectes par la voix soliste, l’accompagnement qui sollicite à l’envi les frottements et les coups sur les cordes du piano (et demande d’Alphonse Cemin un engagement sans faille), ne suffisent pas à soutenir l’attention de l’auditeur pendant près de 30 minutes, et leur jeu de rotation autour de quelques cellules mélodiques répétées régulièrement, n’est t pas dénué de charmes mais sent un peu la pose. Cole Porter, parfaitement déboutonné, rend à la soirée l’atmosphère de mondanité discrète et de douce décadence de ses débuts.