En 2011, Juan Diego Florez avait, tel un matador, dompté le public de l’Opéra de Marseille dans une faena ensorcelante. Ce 5 octobre 2014 il renouvelle l’exercice avec le même brio, et récompense la foule torride par de nombreux bis dans une atmosphère d’apothéose. Au programme des extraits de son dernier récital publié sous le titre De l’Amour.
Pour se mettre en voix et payer son tribut au compositeur lié à ses éclatants débuts, trois mélodies de Rossini tirées de l’album Péchés de vieillesse. Si l’Addio ai Viennesi peut-être daté du moment où Rossini quitta Vienne en 1822 au terme d’un séjour où l’on vendait de la vaisselle à son effigie, il remit plusieurs fois sur le piano les textes de La lontananza et plus encore de Mi lagnero tacendo. Ces pièces, loin de l’éclat virtuose et superficiel que l’on associe souvent au compositeur, tiennent de la confidence, et Juan Diego Florez, qui les fréquente depuis longtemps, en distille tout le sens. C’est l’occasion d’admirer la qualité d’une diction qui ne sacrifie rien malgré des piani dont certains confinent au murmure.
Des airs suivants, celui d’Iopas tiré des Troyens sera le moins réussi, bien qu’il figure sur l’enregistrement déjà cité, car la prononciation n’a ni la clarté ni l’aisance habituelles et le chant donne l’impression d’être légèrement appliqué, avec quelques nasalités. Il ne s’agit certes que de nuances, et elles ne prennent de relief pour nous que parce que l’artiste est justement réputé pour son perfectionnisme. Dès la romance tirée de La jolie fille de Perth et dans les deux airs de Werther, Juan Diego Florez restitue aux textes toutes les nuances de leurs mots et donc toute leur charge émotive, sans pour autant jamais surcharger. C’est un parti pris d’élégante musicalité qui subjugue, au-delà des prouesses vocales accomplies pour satisfaire aux exigences de l’écriture.
La deuxième partie commence elle aussi par des mélodies sans triomphalisme sonore, où le chant se fait introverti, dues à la plume de Francesco Paolo Tosti. Leur succède l’air de Gérald « Fantaisie ô divin mensonge » qui fait rêver d’entendre le ténor dans l’intégralité du rôle, comme du reste l’air de Roméo tiré du Roméo et Juliette de Gounod, mais aller à Lima, où il le chantera en novembre, cela fait tout de même un peu loin. Et arrive alors, après l’engagement lyrique convaincant mais aux limites de la convention, un bijou : l’air de Pâris de La belle Hélène « Au Mont Ida », où Juan Diego Florez ajoute « c’était moi » au « jeune homme frais et beau » du livret. Au vertige qui saisit en repensant au timide jeune homme de ses débuts à Pesaro, à son époustouflant Comte Ory s’ajoute l’évidence qu’il doit ajouter Pâris à son répertoire ! La conviction est probablement partagée parce que les rugissements de plaisir et les vivats déferlent ! Aux rappels incessants le chanteur va répondre avec la même générosité que lors de son premier passage, accordant bis sur bis, « Una furtiva lagrima », Un air du Jérusalem y compris l’inévitable « Pour mon âme » et même « La donna è mobile », ainsi qu’un « Jurame » à tirer des larmes…évidemment de joie ! Osera-t-on l’avouer ? Ce supplément nous a presque mis mal à l’aise, tant son art d’interprète sensible et de musicien talentueux était ravalé au rôle d’attraction sensationnelle. Sans doute Juan Diego Florez se prête-t-il au jeu de bonne grâce et même malicieusement, avec la complicité de l’inaltérable Vincenzo Scalera, qui lui donne une réplique parfaite et fait de leur prestation un véritable duo aussi bien musical que scénique… Alors, sans plus de moue, chapeau les artistes !