Une première date avait été fixée en octobre dernier, que Jonas Kaufmann avait annulée pour raison de santé. Il avait donc fallu attendre longtemps, et personne n’avait envie de dormir, dimanche soir dans la salle archi-comble du Palais des beaux-arts de Bruxelles, où la Staatskapelle de Weimar dirigée par Jochen Rieder était venue accompagner le ténor dans un récital d’airs de Puccini, extraits de son dernier album. C’est l’orchestre qui entame la soirée avec le prélude symphonique en la majeur, pièce un peu terne – c’est plutôt un exercice de composition réalisé par Puccini pendant ses études au conservatoire de Milan – à laquelle le chef s’efforce de donner tout le relief possible.
Entre ensuite, sous des tonnerres d’applaudissements, le chanteur tant attendu. Elégant dans son costume trois pièces très ajusté, svelte, dynamique, le cheveux grisonnant et la barbe courte, une dégaine de vedette de cinéma, du charme à revendre, Kaufmann électrise son public dès les premières notes du récital. Il commence par des airs peu connus, comme s’il voulait faire encore patienter un peu son public. Des extraits de Le Villi ou d’Edgar lui permettent de chauffer l’instrument et de faire soigneusement monter la tension avant les grands airs que tout le monde attend. Ainsi ménagée, soigneusement préparée, la voix est sublime, homogène dans tous les registres, avec une ardeur constante et des couleurs d’une exceptionnelle richesse. Kaufmann maîtrise tant les passages forte (la voix n’est jamais criarde) que pianissimo, registre dans lequel il excelle à exprimer une tendresse infinie sans détimbrer, tout en restant intelligible jusqu’au denier rang de la salle. Ce sera particulièrement remarquable lorsqu’il murmure « Soave visione » dans l’air d’Edgar, ou « Dolci baci, languide caresse » dans l’air de Cavaradossi, avec une intensité rarement atteinte dans cette nuance d’une grande séduction et d’une infinie délicatesse. Il vit chacun de ses personnages sans effet de manche mais avec intelligence et si l’émotion fait parfois défaut, c’est en raison de la structure même d’un récital d’airs relativement courts, tirés de situations très diverses, entrecoupés d’interludes orchestraux et de longues minutes d’applaudissements, qui ne permet pas de construire sur la longueur la cohérence d’un personnage. Ces intermèdes orchestraux, qui émaillent le programme tout au long de la soirée et offrent au chanteur d’utiles moment de répit, viennent rappeler fort à propos qu’en plus d’être le mélodiste de génie que l’on sait, Puccini était aussi un orchestrateur inspiré, auquel les cordes de Weimar rendent parfaitement justice.
Quant à Kaufmann, son plaisir de chanter, d’être en scène est évident, et il le partage généreusement avec le public. L’enthousiasme de la salle ira croissant tout au long de la soirée, jusqu’au « Nessun dorma ! » final, si bref soit-il, qui donne son titre au récital et lui sert à la fois d’aboutissement et de point culminant. Sans laisser le temps à l’orchestre de finir le postlude, le public se lève et fait une ovation au chanteur que ce dernier saluera finalement de cinq bis, arrachés chacun à grand renfort d’applaudissements cadencés, dans une joyeuse atmosphère de liesse très communicative.