Faisant fi de toute mise en scène tapageuse, dans sa tenue comme dans sa façon d’entrer ou de sortir de l’Abbaye d’Ambronay où il se produisait dimanche, le contre-ténor argentin Franco Fagioli impressionne d’abord par sa simplicité et son naturel. Pourtant, en dépit de son jeune âge, son savoir-faire est immense, la maîtrise des registres impressionnante, la technique époustouflante. Dans la première partie de son programme, les airs de Porpora réputés pour leur difficulté donnent lieu à une interprétation constamment contrôlée, où l’on est frappé par l’homogénéité de la tessiture, le velouté du timbre, la souplesse des transitions. La virtuosité est à chaque instant au service de l’expression d’une émotion, avec une attention au texte qui interdit les effets gratuits. L’aisance confondante avec laquelle le chanteur descend dans les notes les plus graves après avoir atteint des sommets dans l’aigu semble trouver son explication dans le travail du souffle et celui du corps, athlétique dans son maintien, précédant ou suivant les phrases musicales par de légers déports de la tête et du bras vers la droite. L’émission s’accompagne aussi de mouvements de lèvres qui confèrent aux notes tenues une couleur et une vibration particulières, tandis qu’un point de gravité intérieur concentre une énergie rayonnante.
L’Accademia Montis Regalis, que dirige Alessandro de Marchi, également au clavecin, est en parfaite osmose avec cette démarche. Loin de tout clinquant, sans recherche du son brillant, mais avec un sens aigu de la belle ouvrage et de l’équilibre des timbres, les instrumentistes font émerger peu à peu la musique du silence. L’ensemble de la première partie, qui comprend un concerto pour hautbois de Vivaldi dans lequel s’illustre Pier Luigi Fabretti, est placée sous le signe de la modération, toute vibrante cependant de dynamisme intérieur.
Dans la deuxième partie du concert, une gradation d’intensité s’opère : les airs de Haendel sont interprétés par Franco Fagioli de manière plus sonore, le volume s’accroît ainsi que la projection. Le concerto pour flautino de Vivaldi, avec Maria De Martini en soliste, vient ponctuer par son effervescence – et le lyrisme de son largo bien connu – les deux airs de Serse (dont celui qui énonce à point nommé : « ma poitrine est trop étroite / Pour ce feu qui me fait souffrir »). Le sommet du récital semble atteint avec « Scherza infida », extrait d’Ariodante poignant à l’extrême, dans une émotion contenue mais intense, dont le chanteur ne revient lui-même qu’avec peine, au bout de plusieurs minutes, ne relevant son visage en larmes que longtemps après que les applaudissements ont commencé de retentir (on regrette d’ailleurs que l’enthousiasme des auditeurs les pousse trop vite à rompre le silence qui clôt ces airs et qu’on aimerait goûter davantage).
Un concerto de Vivaldi pour violoncelle donne l’occasion d’entendre le jeu recueilli de Giovanna Barbati qui l’interprète les yeux clos. Il ne reste plus à Franco Fagioli qu’à conclure avec un autre air d’Ariodante, « Dopo notte », évoquant le navire arrivant au port, sur lequel se termine le programme d’un concert dont la durée annoncée s’est déjà prolongée d’une heure. Mais ce serait compter sans la ferveur d’un public conquis, et surtout sans la forme olympique du contre-ténor, qui propose en bis un troisième air d’Ariodante, « Con l’ali di costanza », puis encore le très beau « Distillatevi o cieli » de l’Oratorio per la nascita di Gesù de Porpora, dans une constante qualité d’interprétation malgré la fatigue que l’on imagine au terme de ce parcours. Avec Franco Fagioli, la subtilité de l’interprétation se double d’une endurance sans ostentation, digne de la plus grande admiration.