Depuis son glorieux Tancredi de 1997, mis en scène par Pizzi sous la baguette d’Alberto Zedda, au Teatro de la Zarzuela, les saisons lyriques et les festivals ont maintes fois engagé Ewa Podleś dans son meilleur répertoire à l’opéra ou en concert et une relation chaleureuse s’est construite avec le public espagnol.
Chaque saison, le Teatro de la Zarzuela donne une dizaine de concerts dans une série intitulée « Ciclo de Lied ». Pour cette invitation 2015, Ewa Podleś a présenté, avec la pianiste Ania Marchwińska, un programme bien rodé. En hors-d’œuvre, on a pu entendre cinq des dix-neuf mélodies de Chopin inspirées de chansons populaires, — et éditées à titre posthume. La contralto polonaise les a enregistrées intégralement deux fois et elle s’est toujours fait un devoir et un plaisir d’en chanter quelques unes avec malice et avec cœur pour débuter ses nombreux récitals en Pologne ou à l’étranger. Puis, elle attaque son grand morceau de bravoure : la cantate Arianna a Naxos de Haydn dans laquelle elle a triomphé de nombreuses fois avec orchestre ou piano ; notamment en 2009 avec Garrick Ohlsson au Wigmore Hall de Londres où leur duo avait littéralement enflammé le public londonien — bien au-delà des applaudissements modérés reçus ce soir.
À l’entracte, plusieurs spectateurs du parterre ont déploré une acoustique très sèche qui aurait même rendu, selon eux, certaines notes inaudibles. Heureusement, au premier balcon de face, on entendait correctement, et nous avons été en mesure d’apprécier une interprétation chargée de mystère, riche en couleurs et en contrastes de Towards Emily Dickinson. Dans sa version avec orchestre, ce cycle de six poésies parmi les plus mélancoliques de la poétesse nord-américaine, mises en musique par le compositeur espagnol Antoni Parera Fons (né en 1943) a été donné à Madrid en première audition mondiale en 2013 avec la même chanteuse soliste. Ce soir, il s’agit de la première en Espagne de la version piano. La voix sombre de Podleś capable de sonorités rondes, comme suspendues, dans le haut medium et de brusques incursions dans le registre aigu est apte à se couler dans cette musique contemporaine, d’inspiration romantique où la mort est omniprésente. La contralto a navigué avec aisance entre un parlé-chanté très articulé, un lamento doucement déchirant et de vibrants accès de détresse.
Le programme se termine avec les Zigeunerlieder de Brahms, écrits en 1887 et 1888 sur les textes du poète hongrois Hugo Conrat. Il s’agit de mélodies inspirées de la musique tzigane, comprenant des rythmes irréguliers et syncopés, imitant les instruments gitans. Particulièrement enjôleuses : « Wißt ihr, wann mein Kindchen… » et « Kommt dir manchmal in den Sinn ».
Après les applaudissements de rigueur, « Belle comme le jour » de Rachmaninov sera offert en bis, avant une courtoise révérence des deux artistes.
À la fin du concert, on apprenait que la chanteuse (qui avait déjà donné un récital avec piano au Teatro de la Zarzuela en 2005) signalait — sans pouvoir les expliquer— des conditions particulièrement inhospitalières du point de vue acoustique qui, ce soir, l’auraient soumise à la torture. Un fait confirmé par la compétente pianiste qui a précisé qu’elles ne pouvaient pas s’entendre mutuellement !